Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/194

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inclinée sur la poitrine, dans le plus complet mutisme, sauf les grognements ou les violentes exclamations qui s’échappaient de temps à autre de ses lèvres. J’écoutais, dans l’espoir de découvrir une voix de femme dans la maison, et me laissais assaillir, en attendant, par de cruels regrets et de lugubres prévisions, qui, à la fin, m’arrachèrent des soupirs et des pleurs que je ne pus réprimer. Je ne m’aperçus que ma douleur était si manifeste que quand Earnshaw, dans sa lente promenade, s’arrêta en face de moi et me jeta un regard de surprise. Profitant de l’attention qu’il m’accordait à nouveau, je m’écriai :

— Je suis fatiguée de mon voyage et voudrais aller me coucher. Où est la servante ? Conduisez-moi à elle, puisqu’elle ne vient pas.

— Il n’y en a pas. Il faudra que vous fassiez votre service vous-même.

— Où dois-je coucher, alors ? sanglotai-je. J’avais perdu tout amour-propre, accablée que j’étais de fatigue et de misère.

— Joseph vous montrera la chambre de Heathcliff. Ouvrez cette porte… il est là.

J’allais obéir, mais il m’arrêta tout à coup et ajouta sur le ton le plus singulier :

— Ayez l’obligeance de tourner votre clef et de tirer votre verrou… n’y manquez pas !

— Bien, dis-je. Mais pourquoi, Mr Earnshaw ?

Je n’aimais pas beaucoup l’idée de m’enfermer volontairement avec Heathcliff.

— Regardez, répondit-il en tirant de son gilet un pistolet de fabrication curieuse, avec un couteau à ressort à deux tranchants fixé au canon. Voilà une grande tentation pour un homme au désespoir, n’est-il pas vrai ? Je ne puis m’empêcher de monter toutes les nuits