Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/193

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malédictions ; mais je n’avais pas encore pu mettre ce projet à exécution qu’il m’ordonna d’entrer, ferma et reverrouilla la porte. Il y avait un grand feu, et c’était la seule lumière dans la vaste pièce dont le sol avait pris une teinte uniformément grise ; les plats d’étain autrefois si brillants, qui attiraient mon regard quand j’étais petite fille, avaient la même nuance sombre due à la saleté et à la poussière. Je demandai si je pouvais appeler la servante et me faire conduire à une chambre à coucher. Mr Earnshaw ne daigna pas me répondre. Il arpentait la salle, les mains dans les poches, paraissant avoir tout à fait oublié ma présence. Je le voyais si profondément absorbé et son aspect général était empreint d’une telle misanthropie que je n’osai le déranger en renouvelant ma question.

Vous ne serez pas surprise, Hélène, que je me sois sentie particulièrement abattue, assise à ce foyer inhospitalier, dans une compagnie pire que la solitude et songeant qu’à quatre milles de là était ma charmante demeure, où se trouvaient les seuls êtres que j’aime sur la terre. L’Atlantique ne nous aurait pas mieux séparés que ces quatre milles : je ne pouvais les franchir ! Je me demandais vers qui me tourner pour trouver un réconfort. Puis — ayez soin de n’en rien dire à Edgar ni à Catherine — un autre chagrin dominait toutes mes peines du moment : le désespoir de ne trouver personne qui pût ou voulût être mon allié contre Heathcliff. J’avais cherché presque avec joie un refuge à Hurle-Vent, parce qu’ainsi j’étais dispensée de vivre seule avec lui ; mais il connaissait les gens chez qui nous venions et ne craignait pas leur intervention.

Je restai longtemps assise à méditer tristement. L’horloge sonna huit heures, puis neuf heures ; mon compagnon continuait à marcher de long en large, la tête