Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/20

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— Mrs Heathcliff est ma belle-fille, dit Heathcliff, ce qui confirma ma supposition. Il dirigea sur elle, en parlant, un singulier regard : un regard chargé de haine… à moins que, par l’effet d’une disposition anormale, ses muscles faciaux n’interprètent pas, comme ceux des autres humains, le langage de son âme.

— Ah ! certainement… je comprends maintenant : vous êtes l’heureux possesseur de cette fée bienfaisante, remarquai-je en me tournant vers mon voisin.

Ce fut encore pis. Le jeune homme devint écarlate et ferma le poing, en donnant tous les signes de préméditation d’un assaut. Mais il parut se ressaisir presque aussitôt et étouffa l’orage sous un brutal juron, grommelé à mon adresse et que, bien entendu, j’eus soin d’ignorer.

— Pas de chances dans vos conjectures, monsieur, observa mon hôte. Aucun de nous n’a le privilège de posséder votre bonne fée ; son époux est mort. J’ai dit qu’elle était ma belle-fille ; il faut donc qu’elle ait épousé mon fils.

— Et ce jeune homme n’est…

— Pas mon fils assurément.

Heathcliff sourit encore, comme si c’eût été une plaisanterie un peu trop forte de lui attribuer la paternité de cet ours.

— Mon nom est Hareton Earnshaw, bougonna l’autre ; et je vous conseille de le respecter !

— Je n’ai fait preuve d’aucune irrévérence, répondis-je, en riant intérieurement de la dignité avec laquelle il se présentait lui-même.

Avant qu’il eût cessé de tenir les yeux fixés sur moi, j’avais détourné de lui mon regard, de crainte d’être tenté de le gifler, ou de donner cours à mon hilarité. Je commençais à me sentir indubitablement peu à ma