Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/21

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place dans cet agréable cercle de famille. Le sentiment de bien-être physique que j’éprouvais était plus que neutralisé par la lugubre atmosphère spirituelle qui régnait là. Je résolus de réfléchir avant de m’aventurer sous ce toit une troisième fois.

Le repas terminé, et personne ne manifestant d’un mot la moindre sociabilité, je m’approchai de la fenêtre pour examiner le temps. Un triste spectacle s’offrit à ma vue : une nuit obscure tombait prématurément, le ciel et les collines se confondaient dans un violent tourbillon de vent et de neige épaisse.

— Je ne crois pas qu’il me soit possible maintenant de rentrer chez moi sans un guide, ne pus-je m’empêcher de m’écrier. Les routes doivent avoir déjà disparu ; si même elles étaient découvertes, je verrais à peine où mettre le pied.

— Hareton, conduis cette douzaine de moutons sous le porche de la grange. Ils vont être enfouis si on les laisse dans leur parc toute la nuit : et mets une planche devant eux, dit Heathcliff.

— Que faire ? continuai-je avec une irritation croissante.

Ma question demeura sans réponse. En jetant un regard autour de moi, je ne vis que Joseph qui apportait un seau de porridge[1] pour les chiens, et Mrs Heathcliff penchée sur le feu, qui s’amusait à faire brûler un paquet d’allumettes tombé du rebord de la cheminée quand elle avait remis la boîte à thé à sa place. Après avoir déposé son fardeau, Joseph passa l’inspection de la pièce et grinça d’une voix chevrotante :

— Je m’demandions comment qu’vous pouvez rester là, à n’rien faire et à vous chauffer, quand tous

  1. Aliment composé de substances légumineuses ou farineuses bouillies dans l’eau ou dans le lait. (Note du traducteur.)