Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/223

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elle reprit, en s’adressant à moi avec un accent de désappointement indigné :

— Oh ! vous voyez, Nelly, il ne fléchirait pas un instant pour me préserver de la tombe. Voilà comme je suis aimée ! Bah ! qu’importe ! Ce n’est pas là mon Heathcliff. Le mien, je l’aimerai malgré tout et je l’emporterai avec moi : il est dans mon âme. Et puis, ajouta-t-elle d’un air rêveur, ce qui me fait le plus souffrir, c’est cette prison délabrée, après tout. Je suis lasse d’y être enfermée. Il me tarde de m’échapper dans ce monde glorieux et d’y demeurer toujours ; de ne plus le voir vaguement à travers mes larmes, de ne plus soupirer après lui derrière les murailles d’un cœur endolori, mais d’être réellement avec lui et en lui. Nelly, vous croyez que vous êtes mieux portante et plus heureuse que moi ; en pleine santé et en pleine vigueur ; vous me plaignez… bientôt cela changera. Ce sera moi qui vous plaindrai. Je serai incomparablement au delà et au-dessus de vous tous. Je suis surprise qu’il ne veuille pas être près de moi !

Elle continua en se parlant à soi-même :

— Je croyais qu’il le désirait. Heathcliff, cher Heathcliff ! Ne soyez plus maussade. Venez près de moi, Heathcliff !

Dans son ardeur elle se leva, et s’appuya sur le bras du fauteuil. À cet appel pressant il se tourna vers elle, l’air absolument désespéré. Ses yeux, grands ouverts et humides, lançaient sur elle des éclairs farouches ; sa poitrine se soulevait convulsivement. Un instant ils restèrent à distance, puis ils se rejoignirent, je vis à peine comment ; mais Catherine fit un bond, il la saisit et la retint dans une étreinte dont je crus que ma maîtresse ne sortirait pas vivante. En fait, elle me parut aussitôt privée de sentiment. Il se jeta sur le siège le plus