Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/248

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n’avait pas été l’agresseur. Cependant Mr Earnshaw lui-même le convainquit bientôt qu’il était encore vivant. Joseph s’empressa de lui administrer une dose de liqueur forte, grâce à quoi son maître recouvra bientôt le mouvement et la conscience. Heathcliff, voyant que son adversaire ignorait le traitement qu’il avait reçu pendant qu’il était sans connaissance, lui dit qu’il avait déliré sous l’empire de l’ivresse ; qu’il passerait l’éponge sur son atroce conduite, mais qu’il l’engageait à aller se coucher. À ma grande joie, il nous quitta lui-même après ce judicieux conseil, et Hindley s’étendit sur la pierre de l’âtre. Je regagnai ma chambre, stupéfaite d’en être quitte à si bon compte.

Ce matin, quand je suis descendue, une demi-heure environ avant midi, Mr Earnshaw était assis près du feu, tout à fait mal en point. Son mauvais génie, presque aussi blême et décharné, était appuyé contre la cheminée. Ni l’un ni l’autre ne paraissait songer à dîner ; après avoir attendu jusqu’à ce que tout sur la table fût froid, j’ai commencé seule. Rien ne m’empêchait de manger de bon appétit et quand, de temps à autre, je jetais un regard sur mes compagnons silencieux, j’éprouvais une certaine impression de satisfaction et de supériorité à sentir en moi le réconfort d’une conscience tranquille. Lorsque j’ai eu fini, j’ai pris la liberté inaccoutumée de m’approcher du feu, de passer derrière le siège d’Earnshaw et de m’agenouiller dans le coin à côté de lui.

Heathcliff n’a pas fait attention à mon mouvement. J’ai levé les yeux et considéré ses traits avec presque autant d’assurance que s’il eût été changé en statue. Son front, qui naguère me paraissait si viril et que je trouve maintenant si diabolique, était voilé d’un lourd nuage ;