Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/254

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l’occasion de parler à mon maître : il évita toute conversation et n’était en état de rien discuter. Quand je pus me faire écouter, je vis qu’il était bien aise que sa sœur eût quitté son mari, qu’il détestait avec une intensité que la douceur de sa nature semblait à peine permettre. Son aversion était si profonde et si vivace qu’il s’abstenait d’aller partout où il aurait pu rencontrer Heathcliff ou entendre parler de lui. Le chagrin, joint à ce sentiment, fit de lui un parfait ermite. Il abandonna sa charge de magistrat, cessa même de paraître à l’église, évita en toutes occasions le village et mena une vie de complète réclusion dans l’enceinte de son parc et de ses terres. La seule variété qu’il y apportât consistait en promenades solitaires dans les landes et en visites à la tombe de sa femme, la plupart du temps le soir, ou le matin de bonne heure avant que personne fût dehors. Mais il était trop bon pour être longtemps tout à fait malheureux. Il ne priait pas, lui, pour que l’âme de Catherine le hantât. Le temps lui apporta la résignation et une mélancolie plus douce que la joie vulgaire. Il entourait sa mémoire d’un amour ardent et tendre, d’aspirations pleines d’espoir vers un monde meilleur où il ne doutait pas qu’elle ne fût allée.

Il eut aussi une consolation et des affections sur cette terre. Pendant quelques jours, vous ai-je dit, il parut n’accorder aucune attention à l’être chétif que sa femme lui avait légué. Cette indifférence fondit aussi vite que la neige en avril, et avant que la petite créature fût capable de bégayer un mot ou de hasarder un pas, elle régnait en despote dans le cœur de son père. Elle s’appelait Catherine ; mais il ne lui donnait jamais son nom en entier, de même qu’il n’avait au contraire jamais abrégé celui de la première Catherine, sans