Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/272

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car il n’avait pas voulu lui faire de peine. Elle s’arrêta dans ses lamentations, examina le jeune homme d’un regard de crainte et d’horreur, puis recommença de plus belle.

J’eus peine à m’empêcher de sourire à la vue de cette antipathie pour le pauvre garçon, qui était bien et solidement bâti, de traits agréables, vigoureux et plein de santé, mais affublé de vêtements appropriés à ses occupations journalières, et celles-ci consistaient à travailler à la ferme et à flâner dans la lande à la recherche de lapins et de gibier de toute sorte. Pourtant, il me semblait que sa physionomie reflétait un esprit doué de qualités meilleures que n’en avait jamais possédé son père. De bonnes graines, dont la croissance négligée était étouffée, certes, par une abondance de mauvaises herbes bien plus vigoureuses ; néanmoins, il y avait évidemment là un sol riche, capable de produire de luxuriantes moissons dans des circonstances différentes et favorables. Je crois que Mr Heathcliff ne lui avait pas infligé de souffrances physiques, grâce à son intrépidité naturelle, qui n’offrait guère de prise à ce genre d’oppression ; il n’avait rien de cette susceptibilité timide qui, au jugement de Heathcliff, aurait donné du charme aux mauvais traitements. Celui-ci semblait avoir exercé sa malveillance — en faisant de lui une brute. Jamais on ne lui avait appris à lire ni à écrire ; jamais on ne l’avait réprimandé pour une mauvaise habitude, pourvu que son gardien n’en fût pas gêné ; jamais on ne l’avait fait avancer d’un pas vers la vertu, ni défendu du vice par un seul précepte. D’après ce que j’ai entendu dire, Joseph avait beaucoup contribué à le gâter par une indulgence mal comprise qui l’incitait à flatter et à cajoler ce garçon, parce qu’il était le chef de la vieille famille.