Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/397

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c’est encore sa figure ! — le fossoyeur a eu du mal à me faire bouger ; mais il m’a dit que l’air l’altérerait. Alors j’ai rendu libre un des côtés du cercueil, que j’ai ensuite recouvert ; pas le côté près de Linton, que le diable l’emporte ! Son cercueil, à lui, je voudrais qu’il eût été soudé au plomb. Puis j’ai soudoyé le fossoyeur pour qu’il enlevât ce côté quand je serai couché là, et qu’il fasse subir la même opération à mon cercueil, que je ferai disposer en conséquence. Et alors, quand Linton viendra nous voir, il ne pourra plus s’y reconnaître !

— Vous avez agi d’une façon indigne, Mr Heathcliff ! m’écriai-je. N’avez-vous pas eu honte de troubler les morts ?

— Je n’ai troublé personne, Nelly, et je me suis procuré à moi-même quelque soulagement. Je vais à présent me sentir bien mieux ; et vous aurez plus de chances de me maintenir sous terre, quand j’y serai. L’avoir troublée ? Non, c’est elle qui m’a troublé, nuit et jour, pendant dix-huit ans… sans cesse, sans remords… jusqu’à la nuit dernière ; et la nuit dernière j’ai été tranquille. J’ai rêvé que je dormais de mon dernier sommeil à côté d’elle, mon cœur immobile contre le sien et ma joue glacée contre la sienne.

— Et si elle avait été réduite en poussière, ou pis encore, de quoi auriez-vous donc rêvé ?

— Que je me réduisais en poussière avec elle et que j’étais encore plus heureux ! Supposez-vous que je redoute un changement de cette nature ? Je m’attendais, en soulevant le couvercle, à une pareille transformation ; mais je préfère qu’elle ne commence pas avant que je la partage. En outre, si je n’avais pas reçu l’impression nette de ses traits reposés, je n’aurais guère pu me débarrasser de cette étrange sensation. Elle