Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/400

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à la fenêtre, ou bien elle ouvrait les panneaux du lit, ou bien elle entrait dans la chambre, ou bien même elle appuyait sa tête chérie sur le même oreiller que quand elle était enfant ! Et je me sentais forcé d’ouvrir les yeux pour regarder. Cent fois dans la nuit je les ouvrais et je les refermais ainsi… pour être toujours déçu ! C’était une torture atroce. J’ai souvent gémi tout haut, au point que ce vieux coquin de Joseph a certainement cru que ma conscience était possédée du démon. Maintenant, depuis que je l’ai vue, je suis calmé… un peu calmé. C’est une étrange façon de tuer : non pas pouce par pouce, mais par fraction d’épaisseur de cheveu, en se jouant de moi, pendant dix-huit ans, avec le fantôme d’une espérance !

Mr Heathcliff s’arrêta et s’essuya le front, où ses cheveux étaient collés, mouillés de sueur. Ses yeux étaient fixés sur les cendres rouges du feu, ses sourcils n’étaient pas contractés, mais relevés près des tempes, ce qui atténuait la dureté de son visage, mais lui donnait un aspect particulier de trouble, l’air d’avoir l’esprit péniblement tendu vers un sujet absorbant. Il ne s’était qu’à moitié adressé à moi, et je gardai le silence. Je n’aimais pas à l’entendre parler. Après un court répit, il reprit sa méditation sur le portrait, le décrocha et l’appuya contre le sofa pour mieux le contempler. Pendant qu’il était ainsi occupé, Catherine entra, annonçant qu’elle serait prête dès que son poney serait sellé.

— Envoyez cela là-bas demain, me dit Heathcliff.

Puis, se tournant vers elle, il ajouta :

— Vous vous passerez de votre poney. Il fait une belle soirée et vous n’aurez pas besoin de poney à Hurle-Vent ; pour les courses que vous aurez à y faire, vos jambes suffiront. Venez !