Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/447

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sa ressemblance. Le monde entier est une terrible collection de témoignages qui me rappellent qu’elle a existé, et que je l’ai perdue ! Eh bien ! Hareton, tout à l’heure, était pour moi le fantôme de mon amour immortel, de mes furieux efforts pour maintenir mon droit, de ma dégradation, de mon orgueil, de mon bonheur, de mon angoisse…

Mais c’est de la folie d’exprimer ces pensées devant vous. Cependant, cela vous fera comprendre pourquoi, malgré ma répugnance à rester toujours seul, sa société, loin de me faire du bien, aggrave plutôt le perpétuel tourment que j’endure ; et c’est cela qui, en partie, contribue à me rendre indifférent à ses rapports avec sa cousine. Je ne peux plus faire attention à eux.

— Mais qu’entendez-vous par un changement, Mr Heathcliff ? demandai-je.

J’étais alarmée de son attitude, bien que, selon moi, il n’eût jamais été en danger de perdre le sens ni de mourir. Il était vraiment vigoureux et plein de santé ; quant à sa raison, depuis son enfance il se complaisait à nourrir de sombres idées et à entretenir de bizarres imaginations. Il pouvait avoir la monomanie de sa défunte idole ; mais sur tous les autres points son esprit était aussi sain que le mien.

— Je ne le saurai pas avant qu’il se produise, répondit-il. Je n’en ai conscience qu’à demi pour le moment.

— Vous ne vous sentez pas malade, n’est-ce pas ?

— Non, Nelly, nullement.

— Et vous n’avez pas peur de la mort ?

— Peur ? Non ! Je n’ai ni crainte, ni pressentiment, ni espoir de la mort. Pourquoi éprouverais-je ces sentiments ? Avec ma robuste constitution et mon genre de vie sobre, mes occupations sans danger, je devrais demeurer,