Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/448

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et il faudra probablement que je demeure sur cette terre jusqu’à ce qu’il me reste à peine un cheveu noir sur la tête. Et pourtant je ne peux pas continuer à vivre ainsi ! Je suis obligé de concentrer mon attention pour respirer, de forcer presque mon cœur à battre ! C’est comme si j’avais à faire ployer un ressort raidi : c’est par contrainte que j’exécute le moindre des actes qui ne sont pas déterminés par ma pensée unique ; par contrainte que je prête attention à tout ce qui, vivant ou mort, n’est pas associé à l’idée qui m’obsède. Je n’ai qu’un désir, à quoi tendent tout mon être et toutes mes facultés. Ils y ont tendu si longtemps et avec tant de constance que je suis convaincu qu’il sera satisfait — et bientôt — parce qu’il a dévoré mon existence : je suis englouti dans l’avant-goût de sa réalisation. Ma confession ne m’a pas soulagé ; mais elle pourra expliquer des phases de mon humeur, qui, autrement, seraient inexplicables. Ô Dieu ! c’est une longue lutte, et je voudrais qu’elle fût finie !

Il se mit à arpenter la chambre, en se murmurant à soi-même de terribles choses, au point que j’inclinais à croire, comme il disait que croyait Joseph, que sa conscience avait fait de son cœur un enfer terrestre. Je me demandais avec anxiété comment cela finirait. Quoiqu’il eût rarement manifesté cet état d’esprit, même par la simple expression de sa physionomie, c’était son état ordinaire, j’en étais certaine. Il l’affirmait lui-même, mais personne n’eût pu le deviner à son aspect général. Vous ne l’avez pas deviné quand vous l’avez vu, Mr Lockwood ; et, à l’époque dont je parle, il était exactement le même qu’alors : plus épris seulement de solitude perpétuelle, et peut-être encore plus laconique en société.