Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/457

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laissais pas choisir son moment pour prendre ses repas. Il ajouta que, la prochaine fois, je n’aurais pas besoin d’attendre ; je n’aurais qu’à mettre sur la table ce qu’il fallait et à m’en aller. Après avoir prononcé ces paroles, il sortit, descendit lentement le sentier du jardin et disparut par la barrière.

Les heures s’écoulèrent dans l’anxiété ; un autre soir revint. Je ne me retirai pour reposer que tard et, quand je m’y décidai, je ne pus dormir. Il rentra à minuit passé et, au lieu de se mettre au lit, s’enferma dans la salle du bas. J’écoutai, je m’agitai, puis finalement je m’habillai et je descendis. Il était trop pénible de rester couchée, la cervelle torturée de mille craintes absurdes.

Je distinguai le pas de Mr Heathcliff, arpentant sans arrêt le dallage ; son silence était fréquemment interrompu par une profonde inspiration qui ressemblait à un gémissement. Il murmurait aussi des mots sans suite : le seul que je pus saisir fut le nom de Catherine, joint à quelque terme passionné d’amour ou de souffrance. Ces mots étaient prononcés comme s’il se fût adressé à une personne vivante : d’une voix basse et fervente, venant du fond de l’âme. Je n’eus pas le courage de pénétrer tout droit dans la salle ; mais, comme je voulais le tirer de sa rêverie, je m’attaquai au feu de la cuisine, le remuai, et me mis à gratter les escarbilles. Le bruit l’attira plus vite que je ne m’y attendais. Il ouvrit aussitôt la porte et dit :

— Nelly, venez ici. Est-ce déjà le matin ? Venez avec votre lumière.

— Voilà quatre heures qui sonnent, répondis-je. Il vous faut une chandelle pour monter ; vous auriez pu en allumer une à ce feu.

— Non, je n’ai pas l’intention de monter. Entrez, allumez-