Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/456

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qu’il est chaud : il y a près d’une heure qu’il attend sur le feu.

Il ne m’entendit pas, et pourtant il sourit. J’aurais mieux aimé le voir grincer des dents que le voir sourire ainsi.

— Mr Heathcliff ! maître ! criai-je, pour l’amour de Dieu, n’ouvrez pas ces grands yeux comme si vous aperceviez une vision surnaturelle.

— Pour l’amour de Dieu, ne criez pas si fort, répliqua-t-il. Regardez bien partout, et dites-moi si nous sommes seuls.

— Sans doute, nous sommes seuls.

Pourtant je lui obéis involontairement, comme si je n’en étais pas bien sûre. D’un geste il déblaya la table devant lui et se pencha pour regarder plus à l’aise.

Je m’aperçus alors que ce n’était pas le mur qu’il regardait, car, en l’observant, je remarquai que ses yeux semblaient exactement dirigés vers une chose qui se serait trouvée à deux mètres de lui. Quelle que fût cette chose, elle lui causait apparemment ensemble un plaisir et une douleur extrêmes ; c’était du moins l’idée que suggérait l’expression angoissée et cependant ravie de son visage. L’objet imaginaire n’était pas fixe ; ses yeux le suivaient avec une activité infatigable et, même quand il me parlait, ne s’en détachaient jamais. J’eus beau lui rappeler son jeûne prolongé : s’il faisait un mouvement pour se rendre à mes instances, s’il étendait la main pour prendre un morceau de pain, ses doigts se refermaient avant de l’atteindre et retombaient sur la table, oublieux de l’objet qu’ils voulaient saisir.

Je continuai, avec une patience exemplaire, à essayer de détourner son attention de la vision qui l’absorbait. À la fin il s’irrita et se leva en demandant pourquoi je ne le