Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/54

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changèrent. Heathcliff fut dangereusement atteint ; dans la période où il fut le plus mal, il voulait que je fusse constamment à son chevet : je suppose qu’il sentait que je faisais beaucoup pour lui, et il n’était pas capable de deviner que j’y étais obligée. Quoi qu’il en soit, je dois dire que c’était l’enfant le plus tranquille qu’une garde ait jamais eu à veiller. La différence que je constatais entre lui et les deux autres me força d’être moins partiale. Cathy et son frère me fatiguaient terriblement, lui ne se plaignait pas plus qu’un agneau, bien que le peu de souci qu’il me donnait tînt à sa dureté au mal et non à sa douceur de caractère.

Il triompha de la maladie : le docteur affirma que c’était dans une large mesure grâce à moi et me félicita de mes soins. Je fus flattée de ces éloges, je devins plus indulgente pour l’être qui me les avait valus, et c’est ainsi que Hindley perdit son dernier allié. Pourtant je n’étais pas férue de Heathcliff et je me demandais souvent ce que mon maître trouvait tant à admirer dans ce garçon taciturne, qui jamais, à ma connaissance, ne donna le moindre signe de gratitude pour reconnaître sa bienveillance. Il n’était pas insolent envers son bienfaiteur, il était simplement insensible, tout en sachant parfaitement l’empire qu’il avait sur le cœur de celui-ci et en comprenant qu’il n’avait qu’à parler pour que toute la maison fût forcée de se plier à ses désirs. Par exemple, il me souvient que Mr Earnshaw avait acheté un jour une paire de poulains à la foire de la paroisse et en avait donné un à chacun des deux garçons. Heathcliff prit le plus beau, mais celui-ci tomba bientôt boiteux ; quand il s’en aperçut, il dit à Hindley :

— Il faut que tu changes de cheval avec moi : je n’aime pas le mien. Si tu ne veux pas, je dirai à ton