Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/53

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fils mort en bas âge, nom qui, dès lors, lui servit ensemble de nom de baptême et de nom de famille. Miss Cathy et lui faisaient maintenant fort bon ménage ; mais Hindley le détestait et, pour dire la vérité, j’éprouvais pour lui le même sentiment. Nous le tourmentions et nous le traitions d’une manière indigne ; car je n’étais pas assez raisonnable pour comprendre mon manque d’équité et la maîtresse n’intervenait jamais en sa faveur quand elle le voyait victime d’une injustice.

Il avait l’air d’un enfant morose et résigné ; endurci, peut-être, contre les mauvais traitements, il recevait les coups de Hindley sans sourciller, sans verser une larme, et mes pinçons n’avaient d’autre effet que de lui faire pousser un soupir et ouvrir de grands yeux, comme s’il se fût fait mal par hasard et que personne ne fût à blâmer. Ce stoïcisme mettait le vieil Earnshaw en fureur, quand il surprenait son fils à persécuter le pauvre orphelin, comme il l’appelait. Il se prit d’une affection singulière pour Heathcliff, croyant tout ce qu’il disait (il disait d’ailleurs fort peu de choses, et généralement la vérité), et le gâtant bien plus que Cathy, qui était trop indisciplinée et trop entêtée pour être sa favorite.

Ainsi, dès le début, Heathcliff fut la cause de dissentiments dans la maison. À la mort de Mrs Earnshaw, qui survint moins de deux ans après, le jeune maître regardait son père comme un tyran plus que comme un ami, et Heathcliff comme l’usurpateur de l’affection de son père et de ses privilèges ; il s’aigrit peu à peu à force de songer à ces dénis de justice. Je sympathisai quelque temps avec lui. Mais quand les enfants eurent la rougeole, que je dus les soigner et assumer tout d’un coup les devoirs d’une femme, mes idées