Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/94

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Comme elle n’était pas tentée, en leur compagnie, de laisser voir les aspérités de son caractère, et que son bon sens l’aurait fait rougir de se montrer malhonnête alors qu’on lui témoignait une si constante courtoisie, elle imposa, sans y penser, à la vieille dame et au vieux gentleman, par sa sincère cordialité ; elle gagna l’admiration d’Isabelle, le cœur et l’âme de son frère : conquêtes qui la flattèrent dès le début, car elle était pleine d’ambition, et qui la conduisirent à adopter un double personnage sans intention précise de tromper personne. Dans la maison où elle entendait traiter Heathcliff de « vulgaire jeune coquin », de « pire qu’une brute », elle avait soin de ne pas se conduire comme lui ; mais chez elle, elle se sentait peu encline à pratiquer une politesse dont on n’aurait fait que rire et à refréner sa fougueuse nature, quand cela ne lui aurait valu ni crédit ni louange.

Mr Edgar avait rarement assez de courage pour venir ouvertement à Hurle-Vent. Il avait la terreur de la réputation d’Earnshaw et frémissait à l’idée de le rencontrer. Pourtant, nous le recevions toujours aussi poliment que possible. Le maître même évitait de l’offenser, car il connaissait l’objet de ses visites ; et, s’il ne pouvait être gracieux, il se tenait à l’écart. J’incline à croire que sa présence chez nous était désagréable à Catherine : celle-ci n’avait ni artifice, ni coquetterie et voyait avec un déplaisir évident toute rencontre entre ses deux amis. En effet, lorsque Heathcliff exprimait son mépris pour Linton en présence de ce dernier, elle ne pouvait pas tomber à moitié d’accord avec lui, comme elle faisait lorsqu’ils étaient seuls ; et, quand Linton manifestait son dégoût et son antipathie pour Heathcliff, elle n’osait pas traiter ces sentiments avec indifférence, comme si la dépréciation de son