Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/95

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compagnon de jeux eût été pour elle de peu d’importance. J’ai souvent ri de ses perplexités et de ses soucis inavoués, qu’elle cherchait vainement à soustraire à mes railleries. Cela semble peu charitable ; mais elle était si fière qu’il devenait en vérité impossible d’avoir pitié de ses chagrins, tant qu’elle ne se laisserait pas ramener à plus d’humilité. Elle se décida enfin à avouer et à se confier à moi : il n’y avait personne d’autre qu’elle pût prendre comme conseiller.

Une après-midi, Mr Hindley étant sorti, Heathcliff crut pouvoir en profiter pour se donner congé. Il avait alors atteint seize ans, je crois, et, sans avoir de vilains traits et sans être dépourvu d’intelligence, il trouvait cependant moyen de produire une impression de répulsion, morale et physique, dont il ne subsiste pas trace dans son aspect actuel. En premier lieu, il avait à cette époque perdu le bénéfice de son éducation première. Un pénible et incessant travail manuel, commençant chaque jour de bonne heure et finissant tard, avait étouffé la curiosité qu’il avait pu jadis avoir d’acquérir des connaissances, ainsi que le goût des livres ou de l’étude. Le sentiment de supériorité que lui avaient inculqué dans son enfance les faveurs du vieux Mr Earnshaw s’était éteint. Il lutta longtemps pour se tenir sur un pied d’égalité avec Catherine dans ses études, et ne céda qu’avec un regret poignant, quoique silencieux ; mais il céda complètement et rien ne put le déterminer à faire un pas pour s’élever, dès qu’il se fut aperçu qu’il était condamné à tomber au-dessous du niveau qu’il avait autrefois atteint. Puis l’apparence extérieure s’harmonisa avec la dégradation mentale. Il prit une démarche lourde et un aspect vulgaire ; son humeur, naturellement réservée, s’exagéra jusqu’à une morosité insociable presque stupide, et il parut trouver un plaisir