Page:Brontë - Un amant.djvu/171

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puis, se relevant toute brûlante, elle désira avoir la fenêtre ouverte. Nous étions au milieu de l’hiver, le vent soufflait violent du nord-ouest ; et je refusai de lui obéir. Les expressions qui se succédaient sur sa figure, et les changements de ses humeurs commençaient à m’alarmer sérieusement : je me rappelais sa première maladie, et comment le docteur avait recommandé de ne pas la contrarier. Une minute auparavant, elle était violente ; maintenant mollement accoudée et sans relever mon refus de lui obéir, elle paraissait trouver une distraction enfantine à tirer les plumes de l’oreiller par les déchirures, qu’elle avait faites, et à les ranger suivant leurs différentes espèces.

— Ceci est d’un dindon, se murmurait-elle à elle-même, et ceci d’un canard sauvage ; et ceci d’un pigeon. Ah ! ils mettent des plumes de pigeon dans l’oreiller — rien d’étonnant à ce que je ne puisse pas mourir.

— Laissez cette besogne d’enfant, lui dis-je, lui enlevant l’oreiller et retournant les trous du côté du matelas, car elle enlevait maintenant les plumes par poignées. Recouchez-vous et fermez vos yeux, vous délirez. Voilà une moisson, le duvet vole comme de la neige !

J’allais ça et là le ramassant,

— Nelly, poursuivit-elle d’une voix rêveuse, je vois en vous une vieille femme, vous avez des cheveux gris et les épaules courbées. Ce lit est la cave des fées sous Peniston Crag, et vous êtes en train de recueillir des boucles de follets pour mettre à mal nos génisses, et vous prétendez, parce que je suis là, que ce sont seulement des flocons de laine. Voilà à quoi vous en serez dans cinquante ans d’ici, car je sais que vous n’êtes pas ainsi maintenant. Je ne délire pas, vous vous trompez, car j’ai conscience qu’il est nuit, et qu’il y a deux chandelles sur la table qui font reluire l’armoire sombre comme du jais.