Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/104

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pouvaient la traiter comme une idiote. Elle était si crédule et si frivole, elle devenait si niaise lorsqu’elle se voyait l’objet des attentions et de la flatterie, que M. Helstone se sentait tenté de renouveler l’expérience du mariage avec elle ; mais heureusement le souvenir salutaire des ennuis de sa première union, l’impression qui lui était restée de cette pierre qu’il s’était une première fois attachée au cou, la fixité de ses sentiments touchant les maux insupportables de l’existence conjugale, tenaient sa tendresse en échec, étouffaient le soupir qui gonflait ses vieux poumons de fer, et l’empêchaient de murmurer à l’oreille d’Hannah des propositions qu’elle eût entendues avec autant de gaieté que de satisfaction.

Il est probable qu’elle lui eût accordé sa main s’il la lui avait demandée ; ses parents eussent certainement approuvé ce mariage. Pour eux, les cinquante-cinq ans d’Helstone, son cœur cuirassé, n’eussent pas été des obstacles ; et, comme il était recteur, vivait bien, occupait une confortable maison et était censé avoir de la fortune (quoique en cela le monde fût dans l’erreur : il avait consacré, jusqu’au dernier shilling, les cinq mille livres sterling qu’il avait héritées de son père à la construction et à la dotation d’une église neuve dans son village natal du Lancashire ; car, lorsque tel était son plaisir, il savait montrer une munificence princière, et ne reculait devant aucun sacrifice pour atteindre le but qu’il avait en vue) ; les parents d’Hannah, dis-je, l’eussent sans scrupule livrée à son affectueuse tendresse ; et la seconde mistress Helstone, renversant l’ordre naturel d’existence de l’insecte, eût voltigé à travers la lune de miel, brillant et admiré papillon, et rampé le reste de ses jours, ver sordide et foulé aux pieds.

Le petit M. Sweeting, assis entre mistress Sykes et miss Mary, qui toutes deux se montraient fort aimables envers lui, avait un plat devant lui, et de la marmelade et des croquets sur son assiette ; il paraissait plus heureux qu’un roi. Il était amoureux de toutes les misses Sykes, et toutes raffolaient de lui. S’il éprouvait un regret en ce bienheureux moment, c’est que miss Dora fût absente : Dora étant celle qu’il espérait un jour appeler Mme David Sweeting, avec laquelle il rêvait de majestueuses promenades, la conduisant comme une impératrice à travers le village de Nunnely : impératrice assurément, s’il eût suffi pour cela de la taille et des proportions colossales ; elle était énorme : vue de derrière, on eût dit une puissante lady de quarante