Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/118

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le plus jeune et le plus grand derrière le plus âgé et le plus petit, regardant avec précaution et de façon à n’être point aperçus du dehors ; le seul commentaire de ce qu’ils virent fut le sardonique éclair que se dardèrent réciproquement leurs yeux.

Une toux qui ressemblait à une préparation oratoire se fit entendre, et fut suivie d’une interjection destinée à calmer le bourdonnement de plusieurs voix. Moore entre-bâilla légèrement la fenêtre, afin que le son arrivât plus librement.

« Joseph Scott, commença une voix nasillarde (Scott faisait sentinelle à la porte du comptoir), pourrions-nous savoir si votre maître est ici, et si on peut lui parler ?

— Il y est, dit nonchalamment Joe.

— Voudriez-vous, s’il vous plaît (appuyant emphatiquement sur le mot vous), avoir la bonté de lui dire que douze gentlemen sont là qui désirent le voir ?

— Il se peut qu’il me demande le but de votre visite, dit Joe ; il serait bon que je pusse le lui dire en même temps.

— Pour quelque chose, » lui fut-il répondu.

Joe entra, « Monsieur, dit-il, s’adressant à Moore, il y a douze gentlemen qui désirent vous parler.

— Bien, Joe, je suis leur homme. Sugden, vous paraîtrez quand je sifflerai. »

Moore sortit en ricanant sèchement. Il s’avança dans la cour, une main dans la poche, l’autre dans son gilet, le bord de son chapeau abaissé sur ses yeux ombrageant en quelque sorte le rayon d’ironie méprisante qui s’en échappait. Douze hommes attendaient dans la cour, les uns en manches de chemise, les autres en tabliers bleus. Deux d’entre eux surtout se faisaient remarquer à l’avant-garde de la troupe : l’un, un petit homme à la mine éveillée, à la démarche fière, avec un nez retroussé ; l’autre, un gaillard à larges épaules, non moins remarquable par sa figure hypocrite, ses yeux de chat où se peignait la fausseté, que par sa jambe de bois et son énorme béquille. Une sorte de sourire contractait faiblement ses lèvres ; il paraissait rire sous cape de quelqu’un ou de quelque chose ; enfin, l’ensemble de sa physionomie n’avait rien de l’homme franc.

« Bonjour, monsieur Barraclough, lui dit Moore d’un ton débonnaire.

— La paix soit avec vous ! fut la réponse que fit M. Barra-