Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/120

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avant. Cet homme ne ressemblait pas à un traître, malgré son air vain et plein d’arrogance.

« Monsieur Moore, commença-t-il, parlant aussi de la gorge et du nez, et prononçant chaque mot très-lentement, comme pour donner à ses auditeurs le temps de bien apprécier l’élégance peu commune de sa phraséologie, on pourrait peut-être dire justement que la raison plutôt que la paix est notre but. Nous venons d’abord vous supplier d’écouter la voix de la raison, et, si vous refusez, il est de mon devoir de vous avertir, dans les termes les plus précis, que des mesures seront prises pour vous faire sentir l’imprudence, la folie de votre conduite comme négociant dans cette partie manufacturière du pays. Je veux dire, monsieur, qu’étant étranger et venant de pays éloignés, d’une autre partie et d’un autre hémisphère du globe, jeté, jeté, pourrais-je dire, comme un exilé sur ces côtes, les rochers d’Albion, vous n’avez pas l’intelligence de ce qui peut être avantageux aux classes laborieuses. Pour arriver au fait, si vous vous décidiez à abandonner cette fabrique et à retourner sans délai dans votre pays natal, c’est ce que vous pourriez faire de mieux ; je ne vois rien qui puisse s’opposer à ce plan. Qu’en dites-vous, camarades ? » dit-il en se tournant vers les autres membres de la députation, qui répondirent unanimement : « Écoutez, écoutez !

— Bravo ! Noë, murmura Joe Scott, qui se tenait debout derrière M. Moore. Voilà des rochers d’Albion et un autre hémisphère qui’ éclipsent un peu l’éloquence de Moïse. Arrivez-vous de la zone antarctique, maître ? »

Moïse, cependant, ne se tint pas pour battu ; jetant un regard courroucé à Noë, il voulut de nouveau essayer la puissance de ses talents oratoires. Cette fois il prit un ton sérieux, abandonnant le sarcasme qui lui avait si mal réussi.

« Avant que vous ne vinssiez planter votre tente parmi nous, monsieur Moore, dit-il, nous vivions dans la paix et la tranquillité ; oui, je peux le dire, dans une affectueuse et bienveillante amitié. Je ne suis pas très-âgé, et je veux parler d’il y a seulement une vingtaine d’années, alors que le travail manuel était encouragé et respecté, et que l’on ne connaissait pas ces machines qui nous sont si pernicieuses. Je ne suis pas un apprêteur de drap ; je suis tailleur de mon état : cependant, mon cœur est d’une douce nature, je suis un homme très-sensible, et, lorsque je vois mes frères opprimés, comme mon glorieux