Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/122

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celui-ci, et peut-être serai-je remplacé par un propriétaire plus entreprenant. Écoutez-moi ! je fabriquerai mon drap comme il me plaira, et selon les lumières que je pourrai avoir. Dans ma manufacture, j’emploierai les moyens qui me conviendront. Quiconque, après cette déclaration, osera se mêler de mes affaires en subira les conséquences. Un exemple vous prouvera que je parle sérieusement. »

Il siffla d’un ton aigu et perçant ; Sugden parut avec son bâton de constable et son mandat d’arrêt.

Moore se tourna brusquement vers Barraclough :

« Vous étiez à Stilbro’, dit-il, j’en ai la preuve. Vous étiez sur le marais, vous portiez un masque, vous avez terrassé de votre main un de mes hommes, vous, un prédicateur de l’Évangile ! Sugden, emparez-vous de cet homme. »

Moïse fut saisi ; il y eut un cri, et un mouvement pour se précipiter à son secours ; mais la main droite que Moore avait tenue, pendant toute cette scène, cachée sous son habit, parut armée d’un pistolet.

« Les deux canons sont chargés, dit-il, et j’ai la ferme résolution de m’en servir. Arrière ! »

Marchant alors à reculons, et faisant toujours face à l’ennemi, il accompagna sa capture jusqu’à la porte du comptoir. Il donna l’ordre à Joe Scott et à Sugden d’y entrer avec le prisonnier, et de mettre le verrou en dedans. Pour lui, il se mit à parcourir de long en large l’espace qui s’étendait devant la façade de la fabrique, les yeux fixés sur le sol, la main pendant négligemment à son côté et tenant toujours le pistolet. Les onze députés restants le regardèrent pendant quelque temps, en se parlant à voix basse, puis l’un d’eux s’approcha. Cet homme paraissait tout différent des deux qui avaient porté auparavant la parole. Il était laid, mais la modestie et une mâle énergie étaient peintes sur ses traits.

« Je n’ai pas grande confiance en Moïse Barraclough, dit-il, et je voudrais vous dire moi-même quelques mots, monsieur Moore. Pour ma part, je ne suis pas venu ici dans une mauvaise intention, mais dans le but de faire un effort pour redresser les choses, qui vont cruellement de travers. Vous voyez que nous sommes malheureux, bien malheureux : nous sommes pauvres et nos familles souffrent. Ces machines et ces métiers nous ont privés de notre travail ; nous ne pouvons rien trouver à faire ; nous ne pouvons rien gagner. Que faut-il faire ? Nous résigner