Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/140

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me demande souvent dans quelle sorte de monde vit ma sœur ; certainement, elle ne vit pas toujours dans celui-ci. À chaque instant on s’aperçoit qu’elle ignore les choses que tout le monde connaît. Penser qu’elle se rend solennellement à l’église, qu’elle a pendant tout le service les yeux fixés sur une certaine personne, et qu’elle ne songe pas même à demander le nom de cette personne ! Elle veut parler de Caroline Helstone, la nièce du recteur ; je me rappelle parfaitement tout cela. Miss Helstone était fâchée contre Anne Pearson ; elle lui dit : « Robert Moore n’est ni affecté ni sentimental ; vous vous méprenez complètement sur son caractère, ou plutôt nulle de vous ne sait rien sur lui. » Maintenant, vous dirai-je comment elle est ? Je puis, mieux que Rose, dire comment sont les gens et comment ils sont habillés.

— Dites.

— Elle est gentille, elle est belle, elle a un joli cou mince et blanc ; elle a de longues boucles, douces et flottantes ; leur couleur est brune sans être sombre ; elle parle posément, d’une voix claire ; ses mouvements n’ont jamais rien de bruyant ; elle est toujours vêtue de soie grise ; elle est d’une élégance parfaite ; ses robes, ses souliers et ses gants lui vont toujours à merveille. Elle est ce que j’appelle une lady, et, quand je serai grande, c’est à elle que je veux ressembler. Vous plairai-je, si je suis comme elle ? Voudrez-vous réellement m’épouser ? »

Moore pressait les cheveux de Jessy ; pendant une minute il sembla vouloir l’approcher plus près de lui, mais au contraire il l’éloigna un peu plus.

« Oh ! vous ne voulez pas de moi ! vous me repoussez.

— Mais, Jessy, je vous suis tout à fait indifférent ; vous n’êtes jamais venue me voir à Hollow.

— Parce que vous ne m’y avez jamais invitée. »

Là-dessus Moore invita les deux jeunes filles à lui faire une visite le lendemain, leur promettant, comme il devait se rendre le matin à Stilbro’, de leur acheter à chacune un présent dont il ne voulut point leur dire la nature, afin de leur causer le plaisir de la surprise. Jessy allait répondre, lorsqu’un des garçons prit soudain la parole.

« Je connais cette miss Helstone dont vous vous occupez : c’est une laide fille. Je la déteste ! Je déteste toutes les femelles. Je demande à quoi elles sont bonnes !

— Martin, dit son père, car c’était Martin qui venait de faire