Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/163

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tique, fit elle-même son ménage, avec l’aide accidentelle d’une jeune fille qui demeurait dans un cottage voisin.

Non-seulement miss Ainley était plus pauvre, mais elle était même plus disgraciée de la nature que l’autre vieille fille. Dans sa jeunesse, elle avait dû étre laide ; en ce moment, à cinquante ans, elle était très-laide. À première vue, il fallait être dans une toute particulière disposition d’esprit pour ne pas la trouver repoussante. Elle était affectée dans ses vêtements et dans ses manières ; son air, sa parole, sa démarche, étaient tout à fait d’une vieille fille.

L’accueil qu’elle fit à Caroline fut cérémonieux, même dans son amabilité, car il était aimable ; mais miss Helstone excusa cela. Elle savait quelque chose de la bienfaisance du cœur qui battait sous ce fichu empesé ; tout le voisinage, au moins toute la partie féminine du voisinage, en savait aussi quelque chose. Nul ne parlait mal de miss Ainley, à l’exception des jeunes gens légers et des vieux inconsidérés qui la déclaraient hideuse.

Caroline fut bientôt à son aise dans ce petit parloir ; une main empressée la débarrassa de son châle et de son chapeau, et l’installa auprès du feu dans le siège le plus confortable. La jeune et la vieille filles furent bientôt engagées dans une aimable conversation, et Caroline ne tarda pas à éprouver le pouvoir que peut exercer une âme sereine, dévouée et bienveillante, sur tout ce qui l’approche. Miss Ainley ne parlait jamais d’elle-même, toujours des autres. Elle ne s’occupait point de leurs défauts ; son thème favori était leurs besoins, auxquels elle cherchait à subvenir, leurs souffrances, qu’elle désirait alléger. Elle était vraiment religieuse, ce que quelques-uns appelleraient une sainte, et, en parlant de la religion, elle se servait souvent de certaines phrases consacrées, phrases dans lesquelles ceux qui ne possèdent que la faculté de remarquer le ridicule, et non d’apprécier et de juger un caractère, eussent assurément trouvé un sujet de satire, matière à rire et à plaisanter. Ils se seraient cependant grossièrement trompés. La sincérité n’est jamais ridicule, elle est toujours respectable ; les cœurs vraiment religieux, qu’ils parlent ou non un langage éloquent et choisi, doivent toujours être écoutés avec respect. Que ceux donc qui ne peuvent avec certitude discerner la différence qui existe entre le ton de l’hypocrisie et celui de la sincérité se montrent réservés dans leurs moqueries, de peur d’avoir le malheur de