Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/162

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nos cœurs conservent la plus faible étincelle de vie, ils conservent aussi, vacillant auprès de ce pâle foyer, un insatiable et ardent besoin de s’épancher et de s’attirer l’affection. À ce spectre exténué, peut-être une miette n’est-elle pas jetée une fois par an ; mais lorsqu’il est près d’expirer de faim et de soif, lorsque toute l’humanité a oublié l’hôte mourant de la maison en ruine, la Miséricorde divine se souvient de l’affligé, et une pluie de manne tombe sur ces lèvres qui ne recevront plus de nourriture terrestre. Les promesses bibliques, dédaignées pendant la santé, reviennent se faire entendre au chevet du malade ; on sent qu’un Dieu miséricordieux veille avec sollicitude sur ce que le genre humain a abandonné ; on se souvient de la tendre compassion de Jésus, et l’on s’y réfugie ; l’œil qui va s’éteindre, regardant au delà du temps, aperçoit une demeure, un ami, un refuge dans l’éternité.

Miss Mann, encouragée par la vive attention de Caroline, entra dans les détails de sa vie passée. Elle parla comme parle la vérité, simplement et avec une certaine réserve, sans vanité, sans exagération. Caroline trouva que cette vieille fille avait été une fille et une sœur des plus dévouées, la plus infatigable gardienne au chevet des moribonds ; qu’à ces soins continuels et prolongés auprès des malades elle devait la maladie qui empoisonnait en ce moment sa vie ; qu’elle avait été le soutien et l’appui d’un parent tombé par sa propre faute dans la plus affreuse dégradation, et qu’elle seule le préservait en ce moment du plus complet abandon. Miss Helstone demeura toute la journée, négligeant les autres visites qu’elle avait projetées : et lorsqu’elle quitta miss Mann, ce fut avec la résolution de tout faire à l’avenir pour excuser ses défauts, de ne jamais rire de sa singularité ou de sa laideur ; et, par-dessus tout, de ne point la négliger, de venir la voir une fois par semaine, et de lui offrir du fond du cœur l’hommage de son affection ou de son respect : elle sentait enfin qu’elle pouvait lui accorder le tribut de ces deux sentiments.

Caroline, à son retour, apprit à Fanny qu’elle était très-contente de sa sortie et que cette visite lui avait fait du bien. Le lendemain, elle ne manqua pas de rendre visite à miss Ainley. Cette dernière était dans une position moins aisée que miss Mann, et sa demeure était plus modeste ; elle était cependant, si c’est possible, plus propre encore, bien que la noble vieille dame, ne pouvant se permettre le luxe d’une domes-