Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/213

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état fort avancé d’ivresse. Ils m’accostèrent comme si j’eusse été Satan, me criant retro et demandant à grands cris d’être délivrés de la tentation. Une autre fois, quelques jours après, Michael se présenta à la porte du comptoir, sans chapeau et en manches de chemise, son castor et son habit ayant été retenus au cabaret comme garantie ; l’agréable message qu’il apportait était qu’il engageait M. Moore à mettre ses affaires en ordre, parce que son âme ne tarderait pas à lui être redemandée.

— Comprenez-vous ces choses ?

— Le pauvre diable buvait depuis des semaines et était arrivé à un état voisin de la folie furieuse.

— Il n’en est que plus capable de mettre à exécution ses sinistres prophéties.

— Il serait absurde de se laisser affecter par de semblables incidents.

— Monsieur Moore, retournez chez vous.

Si tôt ?

— Descendez droit à travers les champs ; ne suivez pas le chemin entre les haies et ne tournez pas autour des plantations.

— Il est encore de bonne heure.

— Il est tard ; pour ma part, je rentre. Voulez-vous me promettre de ne pas vous promener dans les environs de Hollow, cette nuit ?

— Si vous le désirez !

— Je le veux. Est-ce que vous considérez la vie comme sans valeur ?

— Point du tout ; au contraire, depuis peu je trouve que mon existence a une valeur inestimable.

— Depuis peu ?

— Ma vie n’est plus sans but et sans espérance, maintenant, comme elle était il y a trois mois. J’étais en train de me noyer et il me tardait même que ce fût fini. Tout à coup une main me fut tendue, une main si délicate que j’osai à peine m’y confier : sa force cependant m’a arraché à la ruine.

— Êtes-vous réellement sauvé ?

— Pour le moment : votre assistante m’a créé une nouvelle chance.

— Vivez pour en profiter, et ne vous offrez pas comme cible à Michael Hartley. Bonsoir. »