Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/253

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giner qu’une lady aime cette brute ; il est si laid ! un vrai chien de charretier ; je vous en prie, pendez-le.

— Que je pende ce que j’aime ?

— Et achetez à sa place un joli petit bichon au nez retroussé, quelque chose d’approprié au beau sexe. Les ladies aiment généralement les petits chiens.

— Peut-être suis-je une exception.

— Oh ! ce n’est pas possible ! toutes les dames se ressemblent dans ces sortes de choses. C’est universellement admis.

— Tartare vous a fait une terrible frayeur, monsieur Donne ; j’espère qu’il ne vous en arrivera aucun mal.

— J’en serai malade, assurément. Il m’a causé une révolution que je n’oublierai de longtemps. Quand je l’ai vu prêt à s’élancer, j’ai cru que j’allais m’évanouir.

— Vous vous êtes peut-être évanoui dans la chambre à coucher. Vous y êtes resté bien longtemps.

— Non ; j’avais résolu de défendre vigoureusement la porte. J’étais déterminé à ne laisser entrer personne. Je voulais ainsi élever une barrière entre moi et l’ennemi.

— Mais si votre ami Malone avait été déchiré ?

— Malone doit prendre soin de lui-même. Votre homme m’a persuadé de sortir en m’assurant que le chien était enchaîné dans le chenil ; si je n’avais pas été convaincu de cela, je serais demeuré dans la chambre toute la journée. Mais que vois-je ? Je déclare que cet homme a menti. Le chien est là. »

En effet, Tartare passa en ce moment devant la porte vitrée ouvrant sur le jardin, aussi menaçant, aussi rébarbatif que jamais. Il semblait encore de mauvaise humeur, il grognait toujours, et sifflait de ce sifflement à demi étranglé qu’il avait hérité de ses ancêtres les bouledogues.

« Voici d’autres visiteurs qui arrivent, » dit Shirley avec cette froideur provocante que les propriétaires de formidables chiens ont coutume de montrer pendant que leurs animaux font rage.

Tartare bondit vers la porte extérieure avec une explosion de mugissements. Sa maîtresse ouvrit tranquillement la porte vitrée et se dirigea vers lui en lui parlant pour l’apaiser. Mais il n’aboyait déjà plus, et il présentait aux nouveaux venus sa tête énorme et stupide à caresser.

« Eh quoi ! Tartare, Tartare ! disait une voix joyeuse et presque enfantine, est-ce que vous ne nous connaissez pas ? Bonjour, mon vieux garçon ! »