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Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/270

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sa conversation sérieuse ou enjouée un charme tout particulier : elle ne diminuait toutefois en rien la valeur de son amitié intime, qui était chose tout à fait distincte de sa bienveillance sociale, et dépendait d’une tout autre partie de son caractère. Miss Helstone était le choix de son affection et de son intelligence ; les misses Pearson, Sykes et Wynne, ne faisaient que profiter de sa bonne nature et de sa vivacité.

Donne vint par hasard dans le salon, pendant que Shirley, assise sur le sofa, formait le centre d’un groupe assez important. Elle avait déjà oublié l’exaspération à laquelle elle s’était laissée aller contre lui ; elle le salua et lui sourit gracieusement. Le caractère de l’homme apparut alors clairement. Il ne sut point décliner l’avance avec dignité, comme quelqu’un dont la juste susceptibilité a été blessée, ni l’accepter avec franchise, comme quelqu’un qui est content d’oublier et de pardonner ; sa punition ne lui avait infligé aucun sentiment de honte, et il n’était pas assez vigoureux dans le mal pour que sa méchanceté prît un caractère actif : il passa simplement avec un air pusillanime et renfrogné. Rien ne put dans la suite le réconcilier avec son ennemie, et des mortifications plus dures et plus ignominieuses furent impuissantes à éveiller la passion du ressentiment dans sa lymphatique nature.

« Il ne valait pas que je lui fisse une scène ! dit Shirley à Caroline. Combien j’ai été folle ! Punir le pauvre Donne pour son stupide mépris du Yorkshire, autant eût valu écraser un moucheron s’attaquant à la peau d’un rhinocéros. Si j’avais été un homme, je crois que je l’aurais jeté de vive force à la porte : je suis contente de ne m’être servie que de la force morale. Mais qu’il ne m’approche plus : je ne l’aime pas ; il m’irrite. Il n’y a pas même d’amusement à tirer de lui. Sous ce dernier rapport, je préfère Malone. »

Il sembla que Malone voulût justifier la préférence, car ces paroles étaient à peine prononcées, que Pierre-Auguste arriva en grande tenue, ganté et parfumé, avec ses cheveux huilés et brossés à la perfection, et portant à la main un énorme bouquet de roses qu’il présenta à l’héritière avec une grâce qui eût défié le plus habile crayon. Et qui eût osé, après cela, dire que Pierre n’était pas galant pour les dames ? Il avait cueilli et offert des fleurs : il avait déposé un sentimental et poétique tribut sur l’autel de l’Amour… ou de Mammon. Hercule tenant la quenouille ne représentait que faiblement Pierre offrant des roses.