Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/33

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moins pour ce qui concernait l’opposition faite au parti de la guerre, cette question étant celle qui affectait ses intérêts ; et c’est seulement sur cette question qu’il professait la politique anglaise. Il aimait à mettre Helstone en furie, en lui déclarant sa croyance à l’invincibilité de Bonaparte ; en raillant l’Angleterre et l’Europe sur l’impuissance de leurs efforts pour lui résister ; en avançant froidement l’opinion qu’il valait autant lui céder tôt que tard, puisqu’il devait à la fin écraser chacun de ses antagonistes, et régner universellement.

Helstone ne pouvait souffrir de tels sentiments : c’était seulement par la considération que Moore était une sorte de banni et d’étranger, et n’avait que demi-mesure de sang anglais pour tempérer le fiel qui corrodait ses veines, qu’il arrivait à les écouter sans céder à l’envie qui lui venait de bâtonner l’orateur. Une autre chose aussi contribuait à diminuer son dégoût, savoir un sentiment de sympathie pour la façon brutale avec laquelle ces opinions étaient soutenues, et du respect pour la consistance de cette opiniâtreté chagrine.

Lorsque la troupe eut atteint la route de Stilbro’, ils eurent le vent en face, et la pluie leur fouetta le visage. Moore avait agacé déjà son compagnon ; maintenant, irrité peut-être par l’air froid et la pluie, il commença à le railler.

« Est-ce que les nouvelles de la péninsule vous plaisent toujours ? demanda-t-il.

— Que voulez-vous dire ? répondit le recteur d’un ton chagrin.

— Je vous demande si vous avez toujours foi en ce Baal de lord Wellington ?

— Je ne vous comprends pas.

— Croyez-vous toujours que cette idole au visage de bois et au cœur de pierre, qu’adore l’Angleterre, a le pouvoir de faire descendre le feu du ciel pour consumer l’holocauste français que vous avez besoin d’offrir ?

— Je crois que Wellington jettera les maréchaux de Bonaparte dans la mer le jour où il voudra lever sa main.

— Mais, mon cher, vous ne pouvez parler sérieusement. Les maréchaux de Bonaparte sont de grands hommes, qui agissent sous la direction d’un tout-puissant génie. Votre Wellington est le plus stupide des caporaux, dont les mouvements lents et mécaniques sont de plus gênés par un gouvernement ignorant.