Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/331

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L’attitude de Moore semblait donner raison à Shirley.

« Vous me regardez comme un dangereux spécimen de mon sexe, n’est-ce pas ? continua-t-elle.

— Un spécimen singulier au moins.

— Mais Caroline est-elle singulière, elle ?

— À sa façon, oui.

— Sa façon ? Quelle est sa façon ?

— Vous la connaissez aussi bien que moi.

— Et la connaissant j’affirme qu’elle n’est ni excentrique ni difficile à conduire. N’est-ce pas vrai ?

— Cela dépend…

— Cependant il n’y a rien chez elle de masculin.

— Pourquoi appuyez-vous si fortement sur le mot elle ? Est-ce que, sous ce rapport, vous la considérez comme faisant contraste avec vous-même ?

— C’est ce que vous faites sans doute, vous ? mais cela ne signifie rien. Caroline n’est ni masculine, ni ce que l’on est convenu d’appeler une femme ardente.

— Je l’ai vue s’enflammer, cependant.

— Moi aussi, mais non d’un feu viril. C’était une brève et vacillante lueur, qui parut, brilla et s’évanouit.

— Et la laissa effrayée de son audace. Vous pouvez appliquer votre description à d’autres qu’à Caroline.

— Le point que je tiens à établir, c’est que miss Helstone, quoique douce, traitable et assez candide, est cependant parfaitement capable de défier même la pénétration de M. Moore.

— Qu’avez-vous donc fait, vous et elle ? demanda Moore tout à coup.

— Avez-vous déjeuné ? monsieur Moore.

— Quel est donc votre mystère mutuel ?

— Si vous avez faim, mistress Gill va vous servir quelque chose à manger. Entrez dans le parloir aux boiseries de chêne et agitez la sonnette. Vous serez servi comme dans une auberge ; ou, si vous le préférez, retournez à Hollow.

— Je n’ai pas le choix de l’alternative. Il faut que je m’en retourne. Au revoir : je vous reverrai au premier instant de loisir qui me sera laissé. »