Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/384

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se moqua des fantaisies hypocondriaques du riche et de l’oisif, qui, n’ayant autre chose à faire qu’à s’occuper de lui-même, fait appeler un docteur pour un petit mal de doigt.

Cependant « le riche et l’oisif, » représenté par Caroline, tombait dans un état de prostration et de débilité qui étonnait tout le monde, excepté une seule personne : car cette personne réfléchissait combien une constitution minée est sujette à tomber tout à coup en ruine.

Les gens malades ont souvent des caprices inexplicables pour ceux qui les approchent d’ordinaire, et Caroline en avait un que même sa tendre garde-malade ne put tout d’abord s’expliquer. À un certain jour de la semaine, et à une certaine heure, elle désirait, qu’elle fût mieux ou plus mal, être levée, habillée et assise dans sa chaise près de la fenêtre. Elle demeurait là jusqu’à ce que midi fût passé. Quel que fût le degré d’épuisement ou de débilité qui se trahît sur son visage dévasté, elle repoussait doucement toutes les propositions qui lui étaient faites de chercher du repos dans son lit, jusqu’à ce que la cloche eût sonné le milieu du jour : les douze heures sonnées, elle devenait docile et se laissait faire. Retournée à sa couche, elle enfonçait ordinairement sa face profondément dans son oreiller et s’enveloppait entièrement de ses couvertures, comme pour se séparer du soleil et du monde dont elle était fatiguée ; plus d’une fois, lorsqu’elle était ainsi couchée, une légère convulsion, agitait le lit et un faible sanglot rompait le silence. Ces choses n’échappèrent pas à mistress Pryor.

Un mardi matin, comme de coutume, elle avait demandé la permission de se lever, et elle était assise enveloppée dans sa blanche robe de nuit, se penchant sur le devant de sa chaise et regardant fixement et patiemment de la fenêtre. Mistress Pryor était assise un peu en arrière, faisant semblant de tricoter, mais en réalité observant la jeune malade. Un changement s’opéra sur son front pâle et triste qui s’anima soudain ; un éclair jaillit de ses yeux languissants. Elle se leva à demi et regarda avidement dehors. Mistress Pryor, s’approchant doucement d’elle, regarda par-dessus son épaule. De cette fenêtre on apercevait le cimetière, et au delà, la route, sur laquelle apparut, allant à grande vitesse, un cavalier. Il n’était pas encore fort éloigné ; mistress Pryor avait de bons yeux, elle reconnut M. Moore. Au moment même où une légère éminence le dérobait à la vue, l’horloge sonna midi.