Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/416

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pérament tracassier, de pieux principes à des vues mondaines ; son épouse était une très-bonne femme, patiente, bienveillante, bien élevée. Son éducation avait été fondée sur un système de vues étroites, assaisonnées de quelques préjugés : une simple poignée d’herbes amères ; quelques rares préférences, pressurées jusqu’à ce que toute leur saveur naturelle ait été extraite ; quelques excellents principes montés dans une roide croûte de bigoterie difficile à digérer : elle était bien trop soumise, d’ailleurs, pour se plaindre de la diète ou pour demander qu’il fût ajouté quelque chose à ce régime intellectuel.

Les filles étaient des modèles de leur sexe. Elles étaient grandes et avaient chacune un nez romain. Leur éducation avait été sans défaut. Tout ce qu’elles faisaient était bien fait. Leur esprit avait été cultivé par l’histoire et la lecture des livres les plus solides. Les principes et les opinions qu’elles professaient n’auraient pu être amendés. Il eût été difficile de trouver nulle part des vies, des sentiments, des mœurs et des habitudes plus exactement réglés. Elles savaient par cœur un certain code de lois, de langage, de maintien, à l’usage des jeunes ladies. Elles-mêmes ne déviaient jamais du curieux chemin tracé par ce code, et elles voyaient avec une secrète et muette horreur toute déviation chez les autres. L’abomination de la désolation n’était pas un mystère pour elles ; elles avaient découvert cette chose indicible dans ce que les autres nomment originalité. Elles avaient été promptes à reconnaître les signes de ce mal ; et partout où elles apercevaient ses traces, soit dans les regards, les paroles ou les actions ; soit qu’elles les lussent dans le frais et vigoureux style d’un livre, ou qu’elles les entendissent dans l’intéressant, pur et expressif langage, elles frissonnaient, elles reculaient : le danger était sur leurs têtes, le péril sous leurs pas. Qu’était cette étrange chose ? N’étant pas intelligible, elle doit être mauvaise. Qu’elle soit donc dénoncée et enchaînée.

Henry Sympson, le seul garçon et le plus jeune de la famille était un enfant de quinze ans. Il demeurait habituellement avec son précepteur ; quand il le quittait, c’était pour rechercher la société de sa cousine Shirley. Ce garçon différait de ses sœurs : il était petit, boiteux et pâle ; ses grands yeux brillaient avec une certaine langueur dans leur orbite enfoncé ; ils étaient habituellement plutôt obscurs que clairs, mais étaient capables de s’illuminer ; dans certains moments, ils ne brillaient pas, ils