regard. Il est heureux qu’il trouve en lui sa propre félicité, et dans la nature une société qui remplace celle qui le fuit et qu’il ne regrette pas. Lorsque le monde le regarde d’un air froid, avec raison peut-être, car à son tour il a jeté sur le monde un regard hautain et dédaigneux, il est juste que le poëte puisse éprouver cette joie intime, cette illumination de l’âme qui lui fait tout envisager sous les plus joyeuses et les plus brillantes couleurs, pendant que le profane vulgaire regarde peut-être son existence comme un hiver du pôle, jamais réjoui par les rayons du soleil. Le vrai poëte n’a pas besoin qu’on s’apitoie sur lui, et il rit intérieurement toutes les fois qu’un philanthrope fourvoyé s’attendrit sur son sort. Même lorsque les utilitaires portent sur lui leur jugement et proclament l’inutilité du poëte et de son art, il écoute la sentence avec une si âpre dérision, avec un si profond et si impitoyable mépris des malheureux Pharisiens qui l’ont prononcée, qu’il est plutôt à blâmer qu’à plaindre. Ce ne sont pas là cependant des réflexions de M. Yorke, et c’est à M. Yorke que nous avons affaire à présent.
Je vous ai énuméré quelques-uns de ses défauts, lecteur ; quant à ses qualités, il était l’un des hommes les plus honorables et les plus capables du Yorkshire ; même ceux qui ne l’aimaient pas étaient forcés de le respecter. Il était fort aimé des pauvres, parce qu’il était bon et paternel envers eux. Pour ses ouvriers, il était affectueux et plein d’attentions. Lorsqu’il n’avait plus de travail à leur donner, il s’efforçait de leur procurer autre chose à faire, et, s’il ne le pouvait, il les aidait à se transporter, eux et leurs familles, dans un district où ils espéraient en trouver. Il faut aussi faire remarquer que si quelques individus, parmi ses ouvriers, montraient des signes d’insubordination, Yorke, comme un grand nombre de ceux qui abhorrent la répression chez les autres, savait l’exercer avec vigueur, et avait le secret d’étouffer la rébellion dans son germe et de l’arracher comme une mauvaise herbe, de sorte qu’elle ne s’étendait et ne se développait jamais dans la sphère de son autorité. L’heureuse situation de ses propres affaires lui donnait la liberté de parler avec la dernière sévérité de ceux qui étaient dans une situation différente de la sienne, d’attribuer à leur propre faute ce qu’il pouvait y avoir de désagréable dans leur position, de se séparer des maîtres et de soutenir librement la cause des travailleurs.
La famille de M. Yorke était la première et la plus ancienne