Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/43

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du Yorkshire, et, s’il n’était le plus riche, il était un des hommes les plus influents du district. Son éducation avait été bonne ; dans sa jeunesse, avant la Révolution, il avait voyagé sur le continent, et les langues française et italienne lui étaient familières. Pendant un séjour de deux années en Italie, il avait collectionné un grand nombre d’excellents tableaux et d’objets d’art, qui faisaient maintenant l’ornement de sa résidence. Ses manières, lorsqu’il le voulait, étaient celles d’un gentleman de la vieille école ; sa conversation, quand il cherchait à plaire, était singulièrement intéressante et originale, et, s’il s’exprimait ordinairement dans le langage du Yorkshire, c’est qu’il le voulait bien, préférant son dorique natif à un vocabulaire plus raffiné.

M. Yorke connaissait tout le monde et était connu de tout le monde à plusieurs milles à la ronde, et cependant ses intimes n’étaient pas nombreux. Profondément original lui-même, il n’avait aucun goût pour ce qui était ordinaire ; un homme d’un franc et rude caractère, quelle que fût sa position, était toujours accueilli par lui. Un raffiné et insipide personnage, quelque élevé qu’il fût, était l’objet de sa profonde aversion. Sur ce point, il portait ses préférences à l’extrême, oubliant qu’il peut se rencontrer de charmants et d’admirables caractères chez des personnes qui ne peuvent être originales. Néanmoins, il faisait des exceptions à sa règle. Il y avait une certaine classe de gens simples, naïfs, presque destitués d’intelligence et tout à fait incapables d’apprécier la supériorité de la sienne, mais qui, en même temps, n’étaient point blessés par sa rudesse ni aisément rebutés par ses sarcasmes, n’analysaient pas trop minutieusement ses faits et gestes et ses opinions, avec lesquels il était tout particulièrement à son aise, et que par conséquent il préférait.

On aura remarqué sans doute qu’il ne manquait pas de cordialité avec M. Moore ; il avait deux ou trois raisons pour justifier une certaine partialité à l’endroit du jeune manufacturier.

La première de ces raisons, c’est que Moore parlait l’anglais avec un accent étranger, et le français avec un accent parfaitement pur, et que cette sombre et maigre figure, avec ses belles lignes un peu dévastées, ne ressemblait nullement aux types anglais ni à ceux du Yorkshire. Ces points sembleront frivoles et peu propres à influencer un homme tel que M. Yorke,