Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/444

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Les souvenirs conservaient toujours leur autorité sur le précepteur et son ancienne élève ; c’est ce que prouvait la manière dont quelquefois il franchissait la distance qu’elle maintenait d’habitude entre elle et lui, pour réprimer sa réserve hautaine d’une main ferme et calme.

Une après-midi, les Sympson étaient sortis en voiture pour prendre l’air. Shirley, qui n’était jamais fâchée de saisir une occasion d’échapper à leur société, était demeurée à la maison sous prétexte d’une affaire. L’affaire, une lettre à écrire, était expédiée au moment où la porte d’entrée du manoir se refermait derrière la voiture. Miss Keeldar se rendit alors au jardin.

C’était un calme jour d’automne. Le soleil dorait la campagne d’une teinte moelleuse et chaude ; les arbres étaient encore couverts de feuilles qui commençaient à jaunir. La bruyère, encore en fleur, teignait de pourpre les montagnes. Le ruisseau se dirigeait en serpentant vers Hollow à travers une campagne paisible. Aucun vent ne suivait son cours ni n’agitait les bois qui le bordaient. Les jardins de Fieldhead portaient le sceau d’une douce ruine. Sur les allées, balayées le matin, des feuilles avait voltigé de nouveau. La saison des fleurs et même des fruits était finie ; mais quelques pommes garnissaient encore les arbres ; une fleur délicate se montrait par-ci par-là au milieu des feuilles flétries.

Ces seules fleurs. les dernières de leur espèce, Shirley les cueillait en se promenant soucieusement le long des allées. Elle attachait à sa ceinture un bouquet sans odeur et sans éclat, lorsqu’elle s’entendit appeler par Henri Sympson, qui arrivait à elle clopin-clopant.

« Shirley, M. Moore serait bien content de vous voir à la salle d’étude, et de vous entendre lire un peu de français, si vous n’avez point de plus urgente occupation. »

Le messager s’acquitta de sa commission très-simplement, et comme d’une chose tout ordinaire.

« Est-ce que M. Moore vous a commandé de venir me dire cela ?

— Certainement : pourquoi non ? Et maintenant, venez, et laissez-nous croire que nous sommes encore à Sympson-Grove. Nous avions d’agréables heures d’études, dans ce temps-là ! »

Peut-être miss Keeldar pensa que les circonstances étaient changées depuis lors ; néanmoins elle ne fit aucune remar-