Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/443

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— Vos désirs ne sont pas si chimériques : vous n’êtes pas un visionnaire ?

— C’est votre pensée du moins, je suppose. Mais mon caractère n’est pas peut être tout à fait aussi lisible pour vous que pourrait l’être une page du dernier roman.

— C’est possible… mais ce sommeil, j’aimerais à l’enchaîner à votre oreiller, à gagner pour vous ses faveurs. Si je prenais un livre et m’asseyais à côté de vous pour vous lire quelques pages ?… Je puis bien disposer d’une demi-heure.

— Je vous remercie, mais je ne veux pas vous retenir.

— Je lirai très-doucement.

— Cela ne me ferait pas de bien. Je suis dans un état trop fiévreux et trop irritable pour supporter une voix douce, harmonieuse et vibrante, résonnant si près de mon oreille. Vous feriez mieux de me laisser.

— Eh bien, je pars.

— Et vous ne me dites pas bonsoir ?

— Oui, monsieur, oui, monsieur Moore, bonne nuit. »

Shirley sortit.

« Henry, mon garçon, allez vous coucher maintenant, dit Louis Moore : il est temps que vous preniez quelque repos.

— Monsieur, j’éprouverais du plaisir à veiller à votre chevet toute la nuit.

— Rien n’est si peu nécessaire ; je vais mieux. Ainsi, allez vous coucher.

— Donnez-moi votre bénédiction, monsieur.

— Que Dieu vous bénisse, mon meilleur élève.

— Vous ne m’appelez jamais votre plus cher élève.

— Non, et jamais je ne vous appellerai ainsi. »



Peut-être miss Keeldar gardait-elle rancune à son ancien précepteur du refus qu’il avait fait de son offre ; il est certain du moins qu’elle ne la répéta pas. Si souvent que se fît entendre son pas léger à travers le corridor, il ne s’arrêta plus à la porte du malade, et sa voix douce, harmonieuse, vibrante, ne troubla plus le silence de la chambre. D’ailleurs la bonne constitution de M. Moore ne tarda pas à triompher du mal. Au bout de quelques jours il put se lever et reprendre ses fonctions ordinaires.