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Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/466

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tout simplement la camisole de force. Jusqu’à ce jour je me suis tiré d’affaire assez bien. Elle s’est assise à côté de moi, et je n’ai pas tremblé plus que mon bureau. J’ai supporté ses regards et ses sourires comme… un précepteur, que je suis. Je n’ai jamais touché sa main, jamais je n’ai subi cette épreuve. Je ne suis ni son fermier ni son valet, je n’ai jamais été ni son serf ni son serviteur ; mais je suis pauvre, et il est de mon devoir de veiller à ma propre dignité, de n’en pas compromettre un iota. Qu’a-t-elle voulu dire par cette allusion aux gens froids qui pétrifient la chair en marbre ? Elle m’a fait plaisir. Je ne sais pourquoi ; je ne me permettrais pas de le rechercher, je ne me permets jamais de scruter ni son langage ni sa contenance : car, si je le faisais, je pourrais quelquefois oublier le sens commun pour croire au roman. Une étrange et secrète extase parcourt mes veines par moments : je ne veux pas l’encourager, je ne veux pas m’en souvenir. Je suis résolu, aussi longtemps que je le pourrai, de conserver le droit de dire avec saint Paul : « Je ne suis pas fou, mais je parle le langage de la vérité et de la sagesse. »

Il s’arrêta, écoutant.

« Viendra-t-elle, ou ne viendra-t-elle pas ? se demanda-t-il. Comment accueillera-t-elle le message ? naïvement, ou avec dédain ? comme une enfant, ou comme une reine ? Ces deux caractères sont dans sa nature. »

Si elle vient, que lui dirai-je ? Comment justifier, d’abord, la liberté de la requête ? Lui présenterai-je des excuses ? je le pourrais en toute humilité ; mais une justification tendra-t-elle à nous placer dans les positions que nous devons relativement occuper en cette matière ? Je dois rester le professeur, autrement… J’entends le bruit d’une porte. »

Il écouta ; quelques minutes s’écoulèrent.

« Elle me refusera. Henry l’engage à venir : elle refuse. Ma demande est présomptueuse à ses yeux : qu’elle vienne seulement, et je lui apprendrai bien le contraire. J’aimerais mieux qu’elle fût un peu intraitable, cela m’aiguillonnerait. Je la préfère cuirassée d’orgueil, armée d’un sarcasme. Son dédain me fait sortir de mes rêves, je me retrouve moi-même. Un sarcasme de ses yeux et de ses lèvres donne de la vigueur à mes nerfs et à toutes mes fibres. J’entends des pas ; ce sont ceux de Henry… »

La porte s’ouvrit ; miss Keeldar entra. Il paraît que le mes-