Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/504

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à un vieil air très-beau ; par elles-mêmes, elles étaient simples et douces ; peut-être, à la lecture, manquaient-elles de force ; bien chantées, il ne leur manquait rien. Shirley les chanta bien : elle en interpréta admirablement le sentiment et la douceur ; elle leur donna de la passion, de la force : sa voix était belle ce soir-là, son expression dramatique : elle impressionna tous ses auditeurs et en charma un.

En quittant l’instrument, elle s’approcha du feu et s’assit sur un siège moitié tabouret, moitié coussin : les ladies étaient autour d’elle, aucune n’ouvrait la bouche. Les miss Sympson et les miss Nunnely la regardaient comme d’innocentes poules pourraient regarder une aigrette, un ibis, ou tout autre volatile rare. Qu’est-ce qui la faisait chanter ainsi ? Elles n’avaient jamais chanté de la sorte. Était-il décent de chanter avec une telle expression, une telle originalité, si différemment d’une écolière ? Décidément non : c’était étrange ; c’était inusité. Ce qui était étrange devait être mal ; ce qui était inusité devait être inconvenant. Shirley était jugée. De plus, la vieille lady Nunnely, du haut de sa grande chaise placée au coin du feu, la regardait avec des yeux pétrifiants. Son regard disait :

« Cette femme n’est pas de mon espèce ni de l’espèce de mes filles ; je ne veux pas qu’elle soit la femme de mon fils. »

Sir Philippe, saisissant le regard, en découvrit la signification : il s’alarma ; ce qu’il avait tant désiré gagner, il courait risque de le perdre. Il devait se hâter.

La salle dans laquelle ils étaient avait été autrefois une galerie de tableaux. Le père de sir Philippe, sir Monkton, l’avait convertie en salon. Un réduit profond, avec une fenêtre, réduit qui contenait autrefois un lit, une table et une armoire, formait une chambre dans une autre. Deux personnes pouvaient échanger là un dialogue parfaitement secret, pourvu toutefois qu’il ne fût ni trop haut ni trop long.

Sir Philippe décida deux de ses sœurs à chanter un duo ; il donna de l’occupation aux miss Sympson : les deux ladies conversaient ensemble. Il eut le plaisir de remarquer que, pendant ce temps, Shirley s’était levée pour regarder les tableaux. Il avait une histoire à lui dire touchant une de ses ancêtres dont la sombre beauté ressemblait à celle d’une fleur du midi : il la rejoignit et commença son récit.

Il y avait dans l’armoire placée dans le réduit des objets qui avaient appartenu à la même lady ; et, pendant que Shirley