Aller au contenu

Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/526

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

montagneuse ; tout, autour de lui, est rude et désolé, sans forme et presque sans couleur. Il entend des clochettes tinter dans l’air. Sortant de la masse informe du brouillard, lui apparaît la plus brillante vision, une lady vêtue de vert, montée sur un palefroi blanc comme la neige ; il distingue son vêtement, ses perles, sa monture ; elle lui adresse une mystérieuse question : il est enchanté, et doit la suivre dans une terre féerique.

Une seconde légende le transporte au bord de la mer : là les flots viennent se briser à la base de rocs dont la hauteur donne le vertige. Il pleut et il vente. Au loin, dans la mer, s’étend une ligne de rochers noirs et escarpés, sur le sommet et autour desquels éclaboussent et flaquent des flots d’écume blanche comme la neige. Sur ces rocs un promeneur solitaire foule d’un pas prudent les herbes marines, plongeant ses regards dans les abîmes profonds où la mer, couleur d’émeraude, cache sa végétation plus grande, plus sauvage, plus étrange que celle de la terre, avec ses coquillages les uns verts, les autres pourpres et couleur de perles, entremêlés dans les replis des longues herbes. Martin entend un cri. Levant les yeux et regardant devant lui, il voit sur un point blafard du rocher une forme grande et pâle, semblable à un homme, mais faite d’écume, transparente, frémissante, terrible : elle n’est pas seule ; de nombreuses formes humaines, des femmes aussi formées d’écume, de blanches Néréïdes, folâtrent sur ces rochers.

Silence ! il ferme le livre : il le cache dans son sac. Martin entend un pas. Il écoute : non… oui. De nouveau les feuilles sèches, légèrement froissées, bruissent sur le sentier. Martin regarde : les branches s’écartent, et une femme paraît.

C’est une lady vêtue de soie noire ; un voile couvre son visage. Jamais Martin n’a rencontré de lady dans ce bois, ni aucune femme, si ce n’est, de temps à autre, quelque petite paysanne des environs venant y cueillir des noisettes. Ce soir, l’apparition ne lui déplaît point. Il remarque, à mesure qu’elle approche, qu’elle n’est ni vieille ni laide, mais au contraire très-jeune ; et s’il ne la reconnaissait pas pour être celle qu’il a plusieurs fois déclarée fort laide, il lui semblerait découvrir des traits de beauté sous la gaze légère de ce voile.

Elle passe auprès de lui sans rien dire. Il s’y attendait : toutes les femmes sont d’orgueilleuses guenons, et il ne connaît pas de poupée plus infatuée d’elle-même que cette Caroline Helstone. Cette pensée est à peine gravée dans son esprit,