Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/54

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et du crocus s’élançaient du sol, vertes comme des émeraudes. Le printemps était retardé ; l’hiver avait été rude et prolongé ; les dernières neiges avaient disparu seulement sous la pluie de la veille, et, sur les collines, des plaques blanches couronnaient encore les pics. La pelouse n’était pas verdoyante, mais blanchâtre. Trois arbres, groupés avec grâce, s’élevaient à côté du cottage ; ils n’étaient pas grands, mais, n’ayant pas de rivaux, ils produisaient un assez bon effet. Telle était la demeure de M. Moore, un réduit charmant pour le repos et la contemplation, mais dans lequel l’activité et l’ambition ne pouvaient se résigner à replier longtemps leurs ailes. Son air de modeste confort ne paraissait pas avoir une bien grande attraction pour son possesseur ; car, au lieu d’entrer, il alla prendre une bêche dans un petit hangar, et se mit à travailler dans le jardin. Pendant environ un quart d’heure, il bêcha sans être interrompu ; à la fin, cependant, une fenêtre s’ouvrit, et une voix de femme se fit entendre :

« Eh bien ! tu ne déjeunes pas, ce matin ?

— Est-ce que le déjeuner est prêt, Hortense ?

— Certainement, depuis une demi-heure.

— Alors, je suis prêt à y faire honneur ; j’ai une faim canine. »

Il jeta sa bêche et entra dans la maison ; un étroit corridor le conduisit dans une petite pièce où était servi un déjeuner composé de café, de pain et de beurre, avec l’accompagnement peu anglais de poires à l’étuvée. La table était présidée par la dame que nous avons entendue parler de la fenêtre. Je dois la décrire avant d’aller plus loin.

Elle paraissait un peu plus âgée que M. Moore ; peut-être pouvait-elle avoir trente-cinq ans. Elle était d’une taille élevée et bien prise. Elle avait des cheveux très-noirs, en ce moment emprisonnés dans ses papillotes, des joues colorées, un nez petit et une paire de petits yeux noirs. La partie inférieure de son visage était large, comparée à la partie supérieure. Son front était petit et un peu ridé. L’expression de son visage était chagrine, mais non méchante ; il y avait dans l’ensemble de sa personne quelque chose dont on se sentait disposé à s’irriter et à rire en même temps. Ce qu’il y avait de plus étrange était son accoutrement : une jupe d’étoffe de laine et une camisole de coton rayé. La jupe était courte, et laissait voir parfaitement un pied et une cheville qui laissaient beaucoup à désirer sous le rapport de la symétrie.