Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/542

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Je mérite d’apprendre cela en un moment où je puis à peine porter ma main à ma tête. Je le mérite.

— Ce n’est pas un reproche contre vous.

— Ce sont des charbons ardents amoncelés sur ma tête ; il en est de même de chaque mot que vous m’adressez, de chaque regard qui illumine votre doux visage. Approchez-vous encore plus près, Lina, et donnez-moi votre main, si mes doigts maigres ne vous font pas peur. »

Elle prit ses doigts décharnés dans ses deux petites mains ; elle baissa la tête et les effleura de ses lèvres. Moore était très-ému ; une ou deux grosses larmes coulaient sur ses joues creuses.

« Je veux garder ces choses-là dans mon cœur, Cary : je veux mettre à part ce baiser, et vous en entendrez parler quelque jour.

— Sortez ! s’écria Martin ouvrant la porte. Venez vite, vous avez eu vingt minutes au lieu d’un quart d’heure.

— Elle ne va pas encore partir, petit drôle.

— Je n’ose rester plus longtemps, Robert.

— Pouvez-vous promettre de revenir ?

— Non, elle ne le peut pas, répondit Martin. La chose ne doit pas dégénérer en habitude ; je ne peux pas me donner cette peine-là. C’est fort bien pour une fois, mais je ne veux pas que cela se répète.

— Vous ne voulez pas que cela se répète !

— Chut ! ne le vexez pas, nous n’aurions pu nous voir aujourd’hui sans lui : mais je reviendrai, si c’est votre désir que je revienne.

— C’est mon désir, mon seul désir, presque le seul désir que je puisse éprouver.

— Venez à l’instant ; ma mère a toussé, elle s’est levée et vient de poser ses pieds sur le parquet. Qu’elle vous surprenne seulement sur l’escalier, miss Caroline ! vous n’avez pas le temps de lui dire au revoir (s’avançant entre elle et Moore) ; il faut marcher.

— Mon châle, Martin.

— Je l’ai. Je vous le mettrai lorsque vous serez dans le vestibule. »

Il les força de se séparer. Il ne voulut permettre d’autres adieux que ceux des regards : il porta à moitié Caroline en bas de l’escalier. Dans le vestibule, il l’enveloppa de son châle, et