Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/56

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Aussi, Robert n’eut pas plutôt pris place à table, qu’après lui avoir servi une portion de poires cuites et lui avoir façonné une bonne grosse tartine belge, elle laissa déborder un flot d’exclamations d’étonnement et d’horreur sur l’événement de la nuit, la destruction des métiers.

Quelle idée ! les détruire ! Quelle action honteuse ! On voyait bien que les ouvriers de ce pays étaient à la fois bêtes et méchants. C’était absolument comme les domestiques anglais, les servantes surtout : rien d’insupportable comme cette Sarah, par exemple !

« Mais elle paraît propre et industrieuse, observa M. Moore.

— Elle paraît ? Ah ! je ne sais pas ce qu’elle paraît, et je ne prétends pas dire qu’elle soit sale ni paresseuse ; mais elle est d’une insolence ! Elle s’est disputée hier pendant un quart d’heure à propos de la manière de cuire le bœuf ; elle disait que je le fais bouillir en charpie, qu’il serait impossible aux Anglais de manger un plat tel que notre bouilli, que le bouillon n’était autre chose que de l’eau chaude grasse, et, quant à la choucroute, elle affirme qu’elle n’y pourrait toucher ! Vous savez, le baril que nous avons dans la cave, délicieusement préparé de mes propres mains, elle l’appelle un baquet de lavures, ce qui signifie de la nourriture pour les cochons ! Je suis harassée de cette fille, et cependant je ne puis m’en séparer sans tomber sur une pire. Vous êtes dans la même position avec vos ouvriers, pauvre cher frère !

— Je crains que vous ne soyez pas heureuse en Angleterre, Hortense.

— C’est mon devoir d’être heureuse où vous êtes, mon frère ; mais autrement, il y a certainement mille choses qui me font regretter notre ville natale. Tout le monde ici me paraît mal élevé. Ils tournent en ridicule mes habitudes. Si une jeune fille de votre fabrique vient à la cuisine et me trouve en jupon et en camisole préparant le dîner (car vous savez que je ne peux confier à Sarah la préparation d’un seul plat), elle rit d’un air moqueur. Si j’accepte une invitation à prendre le thé dehors, ce qui m’est arrivé une ou deux fois, je m’aperçois que l’on me relègue toujours au dernier rang ; on n’a pas pour moi les attentions qui me sont dues. Les Gérard, comme vous le savez, sont d’une excellente famille, et aussi les Moore ! ils ont le droit d’exiger un certain respect, et de se sentir blessés lorsqu’on le leur refuse. À Anvers, j’étais toujours traitée avec distinc-