Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/576

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tête de granit retrouvée dans le sable : ou plutôt, pour ne point le comparer à quelque chose de si majestueux, il ressemble à celui de Tartare. Vous êtes le cousin de mon chien : je crois que vous lui ressemblez autant qu’un homme peut ressembler à un animal.

— Tartare est votre cher compagnon. Dans l’été, quand vous vous levez avec l’aurore pour courir dans les champs, mouiller vos pieds avec la rosée et rafraîchir vos joues à la brise qui fait flotter vos cheveux, c’est toujours lui qui vous suit. Vous l’appelez quelquefois avec un sifflement que je vous ai appris. Dans la solitude de vos bois, lorsque vous vous croyez entendue de Tartare seul, vous sifflez les mêmes airs que vous avez imités de mes lèvres, ou chantez les chansons que votre oreille a saisies à ma voix. Je ne vous demande point d’où coule le sentiment que vous donnez à ces chansons ; je sais qu’il coule de votre cœur, miss Keeldar. Dans les soirées d’hiver, Tartare est étendu à vos pieds : vous lui permettez de se coucher sur les bords de votre robe de satin. Sa peau rude est familière avec le contact de vos mains : je vous ai vue une fois le baiser sur cette blanche tache de beauté qui étoile son large front. Il est dangereux de dire que je ressemble à Tartare : cela me suggère l’idée de vouloir être traité comme Tartare.

— Peut-être, monsieur, pourrez-vous en obtenir autant de votre jeune orpheline sans fortune quand vous l’aurez trouvée.

— Oh ! si je pouvais la trouver telle que je me la représente ! Quelque chose à apprivoiser d’abord, à instruire ensuite ; à dompter, puis à aimer. Tirer de la pauvreté cette créature fière et dénuée, établir sur elle mon pouvoir, puis être indulgent pour des caprices qui n’auraient jamais été influencés, jamais satisfaits auparavant ; la voir alternativement irritée et apaisée douze fois en vingt-quatre heures ; et peut-être, après son éducation faite, la voir mère patiente et exemplaire d’une douzaine d’enfants, donnant seulement de temps en temps au petit Louis un soufflet cordial en manière d’intérêt de la vaste dette qu’elle aurait contractée envers son père. Oh (je continuai) ! mon orpheline me donnerait plus d’un baiser ; elle guetterait le soir, sur le seuil de la porte, mon retour à la maison ; elle se précipiterait dans mes bras ; elle tiendrait mon foyer aussi brillant que chaud. Quelle douce idée, grand Dieu ! il faut que je trouve mon orpheline ! »