Aller au contenu

Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/593

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’avenir. Les approvisionnements qui avaient été accumulés pendant des années s’écoulèrent en un clin d’œil. Les magasins furent dégarnis, les navires chargés ; le travail abonda, les salaires s’élevèrent. Le bon temps semblait venu ; les espérances pouvaient être trompeuses, mais elles étaient brillantes ; pour quelques-uns elles étaient même réelles. À cette époque, dans le seul mois de juin, plus d’une solide fortune fut réalisée.

Lorsque toute une province se réjouit, les plus humbles de ses habitants prennent leur part du festin. Le son des cloches pénètre dans les demeures les plus fermées comme une invitation à la joie. Ainsi pensait Caroline Helstone, en s’habillant plus élégamment que de coutume dans ce jour de triomphe du commerce, pour aller passer l’après-midi à Fieldhead et présider à certaines préparations de toilette qui avaient lieu en vue d’un grand événement, le dernier mot en ces matières étant réservé à son goût parfait. Elle décida sur la couronne, le voile, la robe qui devaient être portés à l’autel ; elle choisit diverses robes et autres objets pour les occasions plus ordinaires, sans beaucoup consulter l’opinion de la fiancée, cette lady se trouvant alors dans une humeur peu facile.

Louis avait présagé des difficultés, et il les avait rencontrées. Dans le fait, son amante s’était montrée exquisement provocante, différant son mariage de jour en jour, de semaine en semaine, de mois en mois ; d’abord le cajolant avec de douces paroles, puis enfin forçant sa nature forte et délibérée à se révolter contre sa tyrannie, à la fois si douce et si intolérable.

Il avait fallu une sorte d’orage pour l’amener à ce point ; mais elle était enfin là, enchaînée à un jour fixe, conquise par l’amour et liée par sa parole.

Ainsi vaincue et asservie, elle gémissait comme l’enfant du désert enchaîné. Son dompteur seul pouvait la consoler ; sa présence seule pouvait remplacer sa liberté perdue ; en son absence elle restait assise ou errait seule de côté et d’autre ; elle parlait peu, et mangeait encore moins.

Elle ne s’occupa d’aucun préparatif pour la noce ; Louis fut obligé de diriger lui-même tous les arrangements. Il fut le maître de fait à Fieldhead, plusieurs semaines avant de le devenir de nom : le moins présomptueux et le plus bienveillant des maîtres ; mais absolu avec sa lady. Elle abdiqua sans un mot ni une lutte. « Allez à M. Moore ; demandez à M. Moore, » telle était sa réponse lorsqu’on lui demandait des ordres. Ja-