Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/594

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mais amoureux d’une riche fiancée ne fut si complètement délivré du rôle subalterne, si inévitablement forcé d’assumer un pouvoir souverain.

Dans tout cela mistress Keeldar cédait partiellement à sa disposition ; mais une remarque qu’elle fit une année après prouva qu’elle agissait aussi un peu par système, « Louis, disait-elle, n’eût jamais appris à régner, si je n’avais cessé de gouverner : l’incapacité du souverain a développé les pouvoirs du premier ministre. »

Il avait été décidé que miss Helstone serait la demoiselle d’honneur dans les noces qui approchaient ; mais la fortune lui avait destiné un autre rôle.

Elle revint à la rectorerie d’assez bonne heure pour arroser ses plantes. Elle avait accompli cette petite tâche. La dernière à laquelle elle avait donné ses soins était un rosier-arbuste, qui fleurissait dans un coin tranquille sur le derrière de la maison. Cette plante avait reçu la rafraîchissante ondée : Caroline se reposait alors une minute. Près du mur était un fragment de pierre sculptée, une relique monacale, autrefois peut-être la base d’une croix : elle monta dessus afin de mieux dominer de la vue ce qui l’entourait. Elle tenait encore l’arrosoir d’une main ; de l’autre elle relevait sa jolie robe, de peur qu’elle ne fût tachée par quelques éclaboussures : elle regarda par-dessus le mur, le long de quelques champs solitaires ; au loin trois arbres sombres se dressaient côte à côte contre le ciel ; une épine solitaire apparaissait très-loin au bout d’un défilé. Elle vit le sombre marais, où s’allumaient les feux de joie : la soirée d’été était chaude ; le carillon des cloches était joyeux ; la fumée bleue des feux semblait douce, leur flamme brillante ; au-dessus d’eux, dans le firmament d’où le soleil venait de disparaître, étincelait un point argenté, l’Étoile d’Amour.

Caroline n’était pas malheureuse ce soir-là ; bien au contraire : mais en regardant, elle soupira, et pendant qu’elle soupirait, une main l’entoura et se reposa doucement sur sa taille ; Caroline crut savoir qui s’était approché d’elle : elle reçut l’attouchement sans tressaillir.

« Je regarde Vénus, maman ; voyez comme elle est belle. Comme son éclat est brillant, comparé àla flamme rouge des feux de joie ! »

La réponse fut une caresse plus prononcée ; Caroline se retourna et se trouva non en face du visage de matrone de mis-