Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/599

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senti conditionnellement. Si je prouve que je puis suffire aux besoins d’une femme, vous serez à moi. Et je puis y suffire mieux qu’il ne le pense, mieux que je ne voudrais m’en vanter.

— Si vous devenez riche, vous ferez du bien avec votre argent, Robert ?

— Je ferai du bien : vous me direz comment il faudra faire. J’ai d’ailleurs quelques idées particulières dont nous parlerons au sein de notre foyer quelque jour. J’ai vu la nécessite de faire le bien. J’ai appris combien il est insensé d’être égoïste. Caroline, je vois ce que je vais vous prédire. Cette guerre doit avant peu arriver à sa fin. Le commerce est assuré de prospérer pendant quelques années. Il peut survenir quelque mésintelligence entre l’Angleterre et l’Amérique, mais cela ne pourra durer. Que diriez-vous si un jour, peut-être dans dix ans d’ici, Louis et moi partagions entre nous la paroisse de Briarfield ? Louis, à tout événement, est assuré de la puissance et de la fortune ; il n’enterrera pas ses talents. C’est un garçon charitable, et il possède en outre une intelligence supérieure. Son esprit est lent, mais fort : il doit agir, il peut agir après mûre délibération, mais il agira bien. Il sera fait magistrat du district. Shirley l’a dit : elle se mettrait impétueusement et prématurément à l’œuvre pour lui obtenir cette dignité, s’il la laissait faire ; mais il l’en empêchera. Comme d’habitude, il n’est pas pressé. Il n’aura pas été le maître de Fieldhead pendant un an, que tout le district sentira sa tranquille influence et reconnaîtra sa supériorité modeste. On a besoin d’un magistrat, et ils l’investiront en temps opportun, volontairement et sans contrainte, de cette fonction. Tout le monde admire sa future femme, et avec le temps il sera aimé de tout le monde. Il est de la pâte que l’on aime généralement, « bon comme le pain, » le pain quotidien, pour les plus délicats : bon pour l’enfant et pour le vieillard, charitable pour le pauvre, il ne portera point ombrage au riche. Shirley, en dépit de ses caprices et de ses singularités, de ses tergiversations et de ses délais, a pour lui un attachement profond. Un jour elle le verra aussi universellement aimé qu’elle peut le désirer ; il sera aussi universellement estimé, considéré, consulté ; on s’en rapportera à lui pour toute chose, trop peut-être. Son avis sera toujours judicieux, son assistance pleine de bienveillance ; avant qu’il soit peu, tous deux lui seront trop demandés : il faudra qu’il impose des restrictions. Pour moi, si je