Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/614

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

refuser la place, ce que mes parents semblaient croire préférable.

Quelques semaines me restaient pour me préparer. Combien ces semaines me parurent longues et ennuyeuses ! Et pourtant, à tout prendre, elles étaient heureuses, pleines de brillantes espérances. Avec quel plaisir je vis préparer mes nouveaux vêtements et aidai à faire mes malles ! Mais un sentiment d’amertume se mêla aussi à cette dernière occupation, et, lorsqu’elle fut terminée, que tout fut prêt pour mon départ le lendemain, et que la dernière nuit que j’allais passer à la maison approcha, une soudaine angoisse me gonfla le cœur. Mes chers amis paraissaient si tristes, ils me parlaient avec tant de bonté, que je pouvais à peine retenir mes larmes ; pourtant, j’affectais de paraître gaie. J’avais fait ma dernière excursion avec Mary sur les marais, ma dernière promenade dans le jardin et autour de la maison ; j’avais donné à manger avec elle, pour la dernière fois, à nos pigeons favoris, que nous avions accoutumés à venir prendre leur nourriture dans notre main ; j’avais caressé leur dos soyeux pendant qu’ils se pressaient devant moi ; j’avais tendrement baisé mes favoris particuliers, une paire de pigeons blancs comme la neige, à la queue en éventail ; j’avais joué mon dernier air sur le vieux piano de la famille, et chanté ma dernière chanson à papa ; non la dernière, j’espérais, mais la dernière au moins pour un longtemps. « Et peut-être, pensais-je, quand je pourrai de nouveau faire toutes ces choses, ce sera avec d’autres sentiments : les circonstances peuvent être changées et cette maison n’être plus jamais mon foyer. » Ma chère petite amie, la jeune chatte, ne serait certainement plus la même ; déjà, elle commençait à devenir une jolie chatte, et lorsque je reviendrais faire à la hâte une visite à Noël, elle aurait très-probablement oublié sa compagne de jeux et ses jolis tours. J’avais joué avec elle pour la dernière fois, et, lorsque je caressai sa douce et soyeuse fourrure, pendant qu’elle dormait sur mes genoux, j’éprouvai un sentiment de tristesse que je ne pus déguiser. Puis, quand vint le moment de se coucher, quand je me retirai avec Mary dans notre tranquille petite chambre, où déjà mes tiroirs et le casier destiné à mes livres étaient vides, et où ma sœur allait dormir seule, dans une triste solitude, ainsi qu’elle disait, mon cœur se fendit plus que jamais. Il me sembla que j’avais été égoïste et méchante en persistant à vouloir la quitter ; et, quand je m’agenouillai devant notre petit