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Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/613

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quelque chose de plus pour aider mon père, ma mère et ma sœur, en les exonérant de ma nourriture et de mon entretien ; montrer à papa ce que sa petite Agnès pouvait faire ; convaincre maman et Mary que je n’étais pas tout à fait l’être impuissant et insouciant qu’elles croyaient. En outre, quel charme de se voir chargée du soin et de l’éducation de jeunes enfants ! Quoi qu’en pussent dire les autres, je me sentais pleinement à la hauteur de la tâche. Les souvenirs de mes propres pensées pendant ma première enfance seraient un guide plus sûr que les instructions du plus mûr conseiller. Je n’aurais qu’à me remémorer ce que j’étais moi-même à l’âge de mes jeunes élèves, pour savoir aussitôt comment gagner leur confiance et leur affection ; comment faire naître chez eux le regret d’avoir mal fait ; comment encourager les timides, consoler les affligés ; comment leur rendre la Vertu praticable, l’Instruction désirable, la Religion aimable et intelligible. Quelle délicieuse tâche que d’aider les jeunes idées à éclore, de soigner ces tendres plantes et de voir leurs boutons éclore jour par jour !

Je persévérais donc dans mon projet, quoique la crainte de déplaire à ma mère et de tourmenter mon père m’empêchât de revenir sur ce sujet pendant plusieurs jours. Enfin, j’en parlai de nouveau à ma mère en particulier, et avec quelque difficulté j’obtins la promesse qu’elle m’aiderait de tout son pouvoir. Le consentement de mon père fut ensuite obtenu, et, quoique ma sœur Mary n’eût pas encore donné son approbation, ma bonne mère commença à s’occuper de me trouver une place. Elle écrivit à la famille de mon père, et consulta les annonces des journaux ; elle avait depuis longtemps cessé toute relation avec sa propre famille, et n’eût pas voulu avoir recours à elle dans un cas de cette nature. Mais ses parents avaient vécu depuis si longtemps séparés et oubliés du monde, que plusieurs semaines s’écoulèrent avant que l’on me pût procurer une place convenable. À la fin, à ma grande joie, il fut décidé que je prendrais charge de la jeune famille d’une certaine mistress Bloomfield, que ma bonne grand’tante Grey avait connue dans sa jeunesse, et assurait être une femme très-bien. Son mari était un négociant retiré, qui avait réalisé une fortune assez considérable, mais qui ne pouvait se décider à donner plus de vingt-cinq guinées par an à l’institutrice de ses enfants. Je fus pourtant heureuse d’accepter ce mince salaire, plutôt que de