Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/626

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enfants revinrent avant que je ne l’eusse terminée. À sept heures, il me fallut coucher Mary-Anne, puis je jouai avec Tom jusqu’à huit. Il partit aussi, et je pus finir ma lettre et déballer mes effets, ce que je n’avais encore pu faire ; et finalement j’allai moi-même me coucher.

Ce qu’on vient de lire n’est qu’un spécimen très-affaibli de l’occupation d’une journée.

Ma tâche d’institutrice et de surveillante, au lieu de devenir plus aisée à mesure que mes élèves et moi devînmes plus accoutumés les uns aux autres, devint au contraire plus ardue, à mesure que leurs caractères se montrèrent. Je trouvai bientôt que mon titre de gouvernante était une pure dérision. Mes élèves n’avaient pas plus de notions d’obéissance qu’un poulain sauvage et indompté. La peur qu’ils avaient du caractère irritable de leur père, et des punitions qu’il avait coutume de leur infliger, les tenait en respect en sa présence. La petite fille aussi craignait la colère de sa mère, et le petit garçon se décidait à lui obéir quelquefois devant l’appât d’une récompense. Mais je n’avais aucune récompense à offrir, et, pour ce qui est des punitions, il m’avait été donné à entendre que les parents se réservaient ce privilège ; et pourtant, ils attendaient de moi que je misse leurs enfants à la raison. D’autres élèves eussent pu être guidés par la crainte de me mettre en colère ou par le désir d’obtenir mon approbation ; mais il n’en était pas de même avec ceux-ci.

Maître Tom, non content de refuser de se laisser gouverner, se posait lui-même en maître, et manifestait sa détermination de mettre à l’ordre non-seulement sa sœur, mais encore sa gouvernante ; ses pieds et ses mains lui servaient d’arguments, et, comme il était grand et fort pour son âge, sa manière de raisonner n’était pas sans inconvénients. Quelques bonnes tapes sur l’oreille, en de semblables occasions, eussent facilement arrangé les choses ; mais, comme il n’aurait pas manqué d’aller faire quelque histoire à sa mère, qui, avec la foi qu’elle avait dans sa véracité (véracité dont j’avais déjà pu juger la valeur) n’eût pas manqué d’y croire, je résolus de m’abstenir de le frapper, même dans le cas de légitime défense. Dans ses plus violents accès de fureur, ma seule ressource était de le jeter sur son dos et de lui tenir les pieds et les mains jusqu’à ce que sa frénésie fût calmée. À la difficulté de l’empêcher de faire ce qu’il ne devait pas faire, se joignait celle de le forcer de faire ce qu’il